Il bouche les canalisations. Favorise le développement des bactéries comme les légionelles. Il s'entasse parfois en de telles quantités que son poids met en danger la structure des bâtiments. Le tartre est, avec la corrosion, l'ennemi de la plomberie. Si les données chiffrées manquent, les dégâts provoqués sur les parois des conduites d'eau par l'accumulation de ce minéral sous forme de calcite ou d'aragonite seraient, chaque année, considérables. Touchant des pans entiers de l'économie: de l'habitat à l'électroménager en passant par la chimie voire le nucléaire, industrie qui pompe l'eau des rivières pour refroidir les réacteurs des centrales !
Comprendre les conditions de formation du tartre et mettre au point des outils d'analyse et des moyens de lutte contre cette nuisance est l'une des activités du Laboratoire de microstructure et mécanique des matériaux (LM3) à Paris. Ce laboratoire de l'Ensam (École nationale supérieure d'arts et métiers) et du CNRS est l'un des rares en France à travailler dans ce domaine. C'est pourquoi ses spécialistes, le professeur Jean Lédion et le chargé de recherche Franck Hui sont régulièrement sollicités pour venir au secours des produits industriels les plus divers: fers à repasser et chaudières, bien sûr. Mais aussi tours aéroréfrigérantes d'EDF (de 165 mètres de haut !) dont l'une a été rendue récemment inopérante par l'accumulation sur ses parois de plus de 6 000 tonnes de dépôt.
Car, malgré des effets d'annonce répétés, "rares sont aujourd'hui les procédés capables d'empêcher, à coup sûr, l'entartrage", explique Jean Lédion. Si les scientifiques connaissent depuis longtemps la réaction chimique par laquelle les ions calcium et carbonate créent, en présence d'eau, le principal constituant du tartre, le carbonate de calcium, et s'ils savent que sous certaines conditions de température et d'acidité, cette molécule précipite, ils peinent toujours à expliquer pourquoi, entre deux eaux de même composition, l'une entartre, et l'autre pas.
Vues au microscope électronique. En haut: du tartre déposé sur une paroi chauffante en aluminium sous forme d'aiguilles d'aragonite. Ci-dessus: l'entartrage d'une surface de polyéthylène dans de l'eau de Paris à la température ambiante. Tartre déposé principalement sous forme de calcite
Aussi Jean Lédion et Franck Hui ont-ils mis au point de nouvelles méthodes d'essais permettant de classifier les eaux non pas en fonction de leur teneur en calcaire, comme cela se pratique habituellement, mais directement selon leur caractère "entartrant". Grâce à ces procédés originaux (ils consistent à faire circuler le liquide à travers une série de tubes témoins, tout en les pesant à intervalles de temps réguliers) ils ont pu mieux comprendre le phénomène, et identifier des facteurs insoupçonnés favorisant la formation du tartre: matériaux des tuyauteries, présence de bactéries et d'algues dans le liquide, voire... origine et histoire de l'eau avant son entrée en canalisation. Une donnée qui, selon ces scientifiques, doit d'ailleurs être prise en compte dans toute "politique" de prévention de l'entartrage.