Le Stromboli est en activité explosive continue depuis 1400 ans. Toutes les dix à vingt minutes en moyenne une explosion projette des scories et des lambeaux de lave à 100-200 mètres de hauteur, pour la plus grande joie des touristes. Un spectacle qui n'est toutefois pas sans risque, notamment parce que des explosions beaucoup plus violentes et sans signaux annonciateurs se produisent périodiquement.
Malgré de nombreuses études, cette activité rythmique, caractéristique de nombreux autres volcans (activité strombolienne), n'est pas encore bien comprise par les spécialistes. Une équipe de chercheurs italiens et français a publié récemment dans la revue Science (juillet 2007) les résultats d'analyses par spectroscopie infrarouge de la composition des gaz magmatiques propulsant les explosions du Stromboli. Ils révèlent que les explosions ont une origine beaucoup plus profonde que celle jusqu'alors estimée d'après les mesures géophysiques.
Explosion strombolienne type
Le Stromboli, volcan des Iles éoliennes, est la partie émergée d'un édifice haut de 3 km, reposant sur le fond de la mer Tyrrhénienne. Il est célèbre pour son activité quasi permanente, marquée par des explosions périodiques qui projettent des fragments de lave fondue riche en cristaux jusqu'à des dizaines ou des centaines de mètres au-dessus du cratère, situé à 750 mètre au-dessus de la mer. De manière plus épisodique, le volcan produit des explosions beaucoup plus violentes, sans signaux précurseurs évidents, qui représentent un risque important pour les milliers de visiteurs, mais aussi pour les volcanologues. Comprendre ces processus intéresse la recherche fondamentale, mais est aussi une priorité en terme de protection civile pour les autorités italiennes.
Ce type d'activité, qui a précisément reçu le nom de strombolienne, est dû à la formation de larges poches de gaz en surpression qui remontent très rapidement au travers des conduits remplis de magma. Il est admis que ces poches de gaz ("slugs") se forment en profondeur par coalescence de bulles plus petites ou de mousse de bulles, et gardent suffisamment de surpression au cours de leur ascension pour rompre leur enveloppe de lave au moment où elles explosent à la surface. Les signaux sismiques et acoustiques suggéraient jusqu'alors une faible profondeur des explosions (~250 m sous le cratère), implicitement admise comme la profondeur de coalescence et formation des poches de gaz.
De 2000 à 2002, l'équipe scientifique franco-italienne (INGV-Catane et LPS-Saclay) a réalisé les toutes premières mesures par télédétection des gaz émis par le Stromboli, grâce à un nouvelle méthode: la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier en parcours ouvert (OP-FTIR). L'instrument, déjà utilisé par les mêmes chercheurs pour étudier les fontaines de lave de l'Etna, permet d'analyser à distance et à haute résolution temporelle (toutes les 4 secondes) la composition et la température des gaz magmatiques, par analyse de l'absorption du rayonnement infrarouge émis par la lave. Il permet ainsi de suivre avec une grande précision les variations de l'activité éruptive et d'établir des corrélations avec les signaux géophysiques. Les résultats obtenus au Stromboli montrent que le dégazage magmatique calme entre deux explosions - qui produit l'essentiel du flux gazeux - a une composition constante (environ 83% de vapeur d'eau, les autres gaz étant par ordre d'abondance le CO2, SO2, HCl, CO, COS) et une température d'équilibre de l'ordre de 700°C. Par contre, les poches de gaz qui propulsent chaque explosion préservent une température d'équilibre plus élevée (1060-1130°C), semblable à celle du magma, et surtout ont une composition chimique différente: elles sont plus pauvres en eau et plus riches en CO2, SO2, CO et COS, indiquant qu'elles proviennent d'une source plus profonde et plus chaude. L'observation de différences de composition des gaz en fonction de l'intensité des explosions suggère cependant des profondeurs d'origine variables.
Pour interpréter ces résultats, les chercheurs se sont appuyés, d'une part, sur l'analyse des constituants gazeux dissous dans le magma (inclusions vitreuses présentes dans les cristaux d'olivine) et, d'autre part, sur une modélisation de la composition de la phase gazeuse en équilibre avec le magma au cours de sa remontée (décompression) depuis 10 km de profondeur vers la surface.
Schéma simplifié du dégazage provoquant des explosions en surface
Les auteurs dégagent ainsi deux conclusions:
- Les émissions continues de gaz, en dehors des explosions, s'expliquent bien par un dégazage complet du magma basaltique lors de sa migration depuis 10 km jusque dans les conduits superficiels. Leur relatif excès en eau par rapport aux prédictions du modèle peut s'expliquer par des interférences spectroscopiques - difficilement évitables - avec les fumeroles des bords du cratère, mais aussi par ajout de vapeur d'eau météorique (dérivée des eaux de pluies infiltrées).
- Contrairement aux indications géophysiques, les poches de gaz responsables des explosions ne peuvent avoir une origine superficielle. Leur composition indique un équilibre avec le magma à des pressions atteignant 70 à 80 MPa pour les explosions les plus fortes et 20 MPa pour les explosions les plus faibles. Pour conserver cette composition, il faut donc que ces poches de gaz remontent séparément du magma depuis des profondeurs comprises entre 2,7 et 0,8 km sous le cratère, c'est-à-dire entre la base de l'édifice volcanique et le niveau de la mer. Les résultats ne permettent pas encore de discriminer précisément si les poches de gaz se forment à partir d'une mousse de bulles accumulées à une discontinuité des conduits, ou par coalescence dynamique de bulles de tailles différentes, comme l'ont proposé des études antérieures. Cependant, ils démontrent que les explosions du Stromboli ont des racines dix fois plus profondes que ce que l'on croyait jusqu'alors et que la faible profondeur (250 m) des signaux géophysiques associés reflète très probablement une discontinuité permanente des conduits superficiels où se produit une forte accélération de la vitesse d'ascension des proches de gaz.
Cette étude ouvre des perspectives nouvelles pour mieux comprendre et, surtout, prévoir les explosions paroxysmales du Stromboli.