Les fenêtres de lancement vers la planète rouge sont rares et dictées par les positions orbitales. Cette contrainte a longtemps rythmé les missions, imposant des attentes de plusieurs années entre chaque opportunité. Pourtant, une nouvelle approche vient de voir le jour, ouvrant des perspectives inédites pour l'étude de notre voisine.
Le jeudi 13 novembre, une fusée New Glenn de Blue Origin a décollé avec à son bord les deux sondes jumelles ESCAPADE de la NASA (voir notre article). Ce lancement marque la première mission martienne depuis plus de cinq ans, mais contrairement aux attentes, les engins ne se dirigent pas directement vers Mars. Ils ont été propulsés vers le point de Lagrange L2, une zone stable située à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, où ils resteront pendant douze mois. Cette étape intermédiaire leur permettra d'étudier les conditions spatiales locales avant de repartir vers notre planète pour une manœuvre d'assistance gravitationnelle en novembre 2026.
Les deux sondes ESCAPADE en orbite autour de Mars. Crédit: NASA
Cette trajectoire inhabituelle répond à uns situation: l'alignement favorable entre la Terre et Mars ne se produit que tous les 26 mois. La prochaine fenêtre optimale n'étant prévue qu'à la fin de 2026, les sondes patienteront donc près du point L2. Comme l'explique Jeffrey Parker d'Advanced Space LLC, partenaire de la mission, ESCAPADE teste la possibilité de lancer vers Mars en dehors des périodes d'alignement planétaire. Cette innovation pourrait considérablement assouplir la planification des futures explorations.
Les sondes, baptisées Blue et Gold en hommage aux couleurs de l'université de Californie à Berkeley, ont été construites par Rocket Lab. Après leur séjour au point L2 et leur retour vers la Terre pour l'assistance gravitationnelle, elles entameront un voyage de dix mois vers Mars, où elles arriveront en septembre 2027. Elles passeront ensuite sept mois supplémentaires à ajuster et synchroniser leurs orbites autour de la planète rouge pour se suivre à intervalles réguliers, comme deux perles sur un fil.
Cette configuration en tandem est essentielle pour capturer des variations rapides dans l'environnement martien. Robert Lillis, responsable scientifique de la mission, souligne que les missions précédentes comme MAVEN et Mars Express ne pouvaient observer les mêmes zones qu'après plusieurs heures. Avec deux engins se succédant rapidement, ESCAPADE pourra mesurer des changements sur des échelles de temps aussi courtes que deux minutes. Cette capacité offrira une vision stéréoscopique inédite de l'atmosphère supérieure et des champs magnétiques de Mars.
Pendant onze mois, Blue et Gold utiliseront leurs instruments identiques - caméras, magnétomètre, analyseur électrostatique et sonde de plasma - pour cartographier l'environnement spatial proche de Mars. Les données recueillies aideront à comprendre comment et quand la planète a perdu son atmosphère, fournissant des informations précieuses sur les conditions qui pourraient affecter les futurs missions habitées. La patience sera de mise pour les scientifiques, mais l'attente promet des révélations fondamentales sur l'histoire et l'habitabilité de notre voisine.
Les deux sondes identiques d'ESCAPADE conçues pour étudier l'atmosphère martienne. Crédit: UC Berkeley, RocketLab et Astrotech
Les points de Lagrange, des parkings spatiaux
Les points de Lagrange sont des positions particulières dans l'espace où les forces gravitationnelles de deux corps célestes, comme la Terre et le Soleil, s'équilibrent avec la force centrifuge d'un objet plus petit. Ces zones stables permettent à un satellite d'y stationner presque sans consommer d'énergie, un peu comme s'il était garé sur une aire de repos cosmique. Le point L2, où se rendent les sondes ESCAPADE, se situe à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, dans l'alignement opposé au Soleil.
Cet emplacement offre des conditions idéales pour l'observation spatiale, car il permet d'éviter les interférences lumineuses et thermiques de notre planète. De nombreux observatoires, comme le télescope James Webb, utilisent un de ces points pour leurs missions. Pour ESCAPADE, le séjour au L2 représente une étape stratégique avant le voyage vers Mars, permettant des études préliminaires tout en attendant la fenêtre de lancement optimale.
La stabilité gravitationnelle de ces points en fait ainsi, et c'est nouveau, des relais pour l'exploration spatiale. Ils servent de bases avancées pour tester des technologies, étudier l'environnement spatial profond ou préparer des manœuvres.
L'assistance gravitationnelle, un coup de pouce planétaire
L'assistance gravitationnelle est une technique astucieuse qui utilise la gravité d'une planète pour modifier la vitesse et la trajectoire d'un engin spatial sans consommer de carburant. Un vaisseau qui frôle une planète peut accélérer ou ralentir selon l'angle d'approche, profitant de l'énergie orbitale du corps céleste.
Cette manœuvre demande une précision extrême dans le calcul des trajectoires. Pour ESCAPADE, le retour vers la Terre en novembre 2026 permettra aux sondes d'utiliser notre planète comme fronde gravitationnelle. En passant à proximité, elles capteront un surplus de vitesse qui les propulsera vers Mars avec une économie substantielle de propergol. Cette technique est couramment employée dans l'exploration spatiale depuis les missions Voyager dans les années 1970.
L'efficacité de l'assistance gravitationnelle dépend de la masse de la planète utilisée et de la proximité du survol. Elle permet d'atteindre des destinations lointaines à moindre coût.