Les
récentes inondations de janvier 2023 en Californie ont médiatisé un phénomène atmosphérique d'intensité extrême: les rivières atmosphériques.
Une rivière atmosphérique frappe la Californie. En couleurs surimposées, l'intensité des précipitations.
US Department of Energy Office of Science, Energy Exascale Earth System Model (E3SM) project
Celles-ci sont caractérisées par des flux d'humidité très intenses dans la partie basse de l'
atmosphère (Le mot atmosphère peut avoir plusieurs significations :), c'est-à-dire dans la
troposphère (La troposphère est la partie de l'atmosphère terrestre située entre la surface du globe et une...) (les dix premiers
kilomètres (Le mètre (symbole m, du grec metron, mesure) est l'unité de base de longueur du Système...) d'atmosphère environ), qui s'écoulent de façon presque linéaire, comme si elles étaient contraintes à suivre le lit d'une rivière imaginaire.
Les rivières atmosphériques sont accompagnées de vents violents et de très fortes précipitations. En Californie, où elles ont été initialement décrites, ces pluies diluviennes provoquent le débordement des rivières et la houle et l'onde de tempête aggravent les inondations le long des régions côtières.
Carte mondiale de l'eau pouvant produire des précipitations le 24 juin 2021.
Ruping Mo, Hai Lin and Frédéric Vitart, Commun Earth Environ., CC BY
Néanmoins, leurs impacts sont aussi forts en Europe. Le cyclone extratropical Alex en 2020 s'était dirigé vers le nord de la France et avait, au sud, produit un
flux intense de vapeur d'eau traversant la Méditerranée du détroit de Gibraltar au sud-est de la France et au
nord-ouest (Le nord-ouest est la direction entre les points cardinaux nord et ouest. Le nord-ouest est...) de l'Italie. Cette rivière atmosphérique, renforcée par l'
évaporation (L'évaporation est un passage progressif de l'état liquide à l'état gazeux. Elle est différente...) de la
mer Méditerranée (Méditerranée signifie entre les terres. La mer Méditerranée est une mer intracontinentale...) et par l'
interaction (Une interaction est un échange d'information, d'affects ou d'énergie entre deux agents au sein...) avec le relief, avait provoqué des pluies torrentielles et des
crues dévastatrices des régions de la Ligurie et du Piémont italiens dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020 et le décès de 15 personnes.
Le coût des destructions occasionnées en Europe et aux États-Unis depuis les années 2000 se compte en milliards d'euros.
Malgré cela, les rivières atmosphériques
ne sont pas un phénomène nouveau: elles participent au cycle de l'eau, et sous nos latitudes, leurs effets sont assez bien connus. Mais
nos recherches récentes montrent que les rivières atmosphériques existent aussi dans les régions polaires, où elles ont un impact important sur la calotte glaciaire.
Comme une rivière flottant dans l'air
Une rivière atmosphérique est un flux atmosphérique très intense, qui s'écoule généralement sur des milliers de kilomètres avec une forme "filamentaire", telle une immense rivière dans le ciel.
En raison de la forme de la rivière atmosphérique, le flux se déplace rapidement et concentre les précipitations dans une région de faible étendue (contrairement aux dépressions classiques dont on entend parler à la météo, qui sont en forme de grands "tourbillons" et ont tendance à "étaler" les précipitations sur des zones plus grandes à la surface de la Terre). Le flux d'air chaud et humide subit généralement une ascendance vers le haut de la troposphère lors de son déplacement vers les hautes latitudes, ce qui provoque une forte
condensation (La condensation est le nom donné au phénomène physique de changement d'état de la matière qui...) (générant des gouttes d'eau et des flocons de neige), et des précipitations très intenses.
Une rivière en crue à Nevada City, en Californie.
Kelly M. Grow/California Department of Water Resources
L'intensité et la forme du flux d'humidité ont justifié leur nom métaphorique de "rivières". Il faut dire aussi que la quantité d'eau transportée, sous forme de vapeur d'eau et de gouttelettes,
excède parfois celle du débit annuel des plus grands fleuves.
Les rivières atmosphériques peuvent provoquer de violentes inondations et ce fut le cas en lors des pluies diluviennes de janvier 2023 en Californie. Les autorités
semblent avoir été surprises par la violence des événements. Pourtant, des phénomènes similaires avaient déjà transformé les rivières (terrestres) descendant de la Sierra Nevada en torrents déchaînés emportant tout avec elles.
En décembre 1861-janvier 1862, pendant un moins et de demi, une
série de rivières atmosphériques avait transformé la vallée de
Sacramento (La ville de Sacramento est la capitale de l’État de Californie, aux États-Unis. Elle fut...) en un
immense lac de 400 kilomètres sur 30, dévastant les villes, l'agriculture et le quart du bétail de la région. Or, aussi dramatique que semble avoir été la méga-inondation de 1861-1862, une
crue d'ampleur similaire se serait produite tous les deux siècles environ dans cette même région.
Les rivières atmosphériques ont aussi des effets positifs
Les rivières atmosphériques ont donc toujours existé, seul le nom de "rivière atmosphérique" est récent. Elles ont d'abord été étudiées en raison leur impact souvent catastrophique sur nos sociétés.
Pourtant, toutes les rivières atmosphériques ne sont pas la cause de grandes destructions. La majorité d'entre elles ont même plutôt des effets positifs sur l'agriculture et les écosystèmes. Ainsi, elles fournissent
30 à 50 % de la pluie et de la neige chaque année le long de la côte ouest des États-Unis.
Elles constituent aussi une composante cruciale du cycle hydrologique mondial. Par exemple, pour les moyennes latitudes, elles représentent
environ 90 % du transport dit "méridional" de vapeur d'eau (du sud vers le nord dans l'hémisphère nord et du nord vers le sud dans l'hémisphère sud), alors qu'elles ne couvrent que 10 % environ de la surface du globe. Il a aussi été
calculé que quatre ou cinq rivières atmosphériques dans chaque hémisphère peuvent suffire pour transporter le flux d'humidité des basses vers les hautes latitudes sur le globe.
Les effets des rivières atmosphériques sur les calottes polaires
Bien que les recherches se soient initialement concentrées sous nos latitudes, il a été
récemment découvert que les rivières atmosphériques touchaient aussi l'Antarctique et le
Groenland, où elles sont peu fréquentes mais jouent un
rôle encore plus primordial. Nous décrivons ici les effets observés en Antarctique, mais leur impact au Groenland est
similaire.
En Antarctique, entre deux et dix rivières atmosphériques atteignent chaque région du continent chaque année. Pourtant, les rivières atmosphériques sont responsables des précipitations neigeuses les plus intenses, contrôlant de ce fait la variabilité interannuelle et la tendance d'évolution de l'accumulation de neige sur une grande partie du continent.
Elles ont par contre des effets contradictoires sur le "bilan de masse" de la calotte antarctique, c'est-à-dire le bilan des gains et pertes de neige à l'échelle de l'Antarctique. En effet, les flux d'air d'origines tropicale ou subtropicale sont aussi très chauds. Ils produisent ainsi un effet radiatif très fort (une forme d'effet de serre) le temps de la rivière. Cet apport de chaleur est à l'origine de la majorité des températures maximales en péninsule et sur l'Antarctique de l'Ouest.
Les rivières atmosphériques font fondre la glace antarctique
Ces températures élevées provoquent la fonte des glaces à faible altitude, sur les immenses étendues planes de glace coincées dans d'immenses baies le long du pourtour de l'Antarctique, appelées "plateformes de glace".
La fonte peut favoriser une éventuelle désintégration des plates-formes, mais elle n'est pas le seul processus en jeu. En effet, en raison de la fonte en surface, les bulles d'air présentes dans la neige vont se remplir d'eau liquide, puis l'eau va s'écouler en surface de la glace sous-jacente et s'accumuler dans des lacs et remplir les crevasses, qu'elle va aider à élargir.
La plate-forme de glace Larsen B, en Antarctique, observée par le satellite Envisat en 2007, et son évolution depuis 1992. ESA De plus, les vents violents associés à la rivière atmosphérique peuvent disperser vers le large la glace de mer (banquise) présente à l'avant des plates-formes de glace. En l'absence de banquise, la houle océanique peut atteindre les plates-formes et les déstabiliser par mouvements de flexion. C'est ce qui s'est produit lors de la désintégration des plates-formes de Larsen A (fin janvier 1995) et Larsen B (en février-mars 2002), provoquant la disparition de plusieurs milliers de kilomètres carrés de glace en quelques jours seulement.
Les rivières atmosphériques ont donc des conséquences positives et négatives à nos latitudes comme aux pôles. L'évolution future de l'amplitude des rivières atmosphériques aura donc des conséquences bien au-delà de la Californie.
Comment évolueront les rivières atmosphériques en Antarctique et au Groenland, face au changement climatique ? Les glaces des hautes latitudes risquent-elles de reculer à cause des rivières atmosphériques ? Répondre à ces questions est tout l'enjeu de nos recherches menées dans le cadre du
projet ARCA, soutenu par l'Agence Nationale de la
Recherche (La recherche scientifique désigne en premier lieu l’ensemble des actions entreprises en vue...).