Allant de 542 à 488 millions d'années avant aujourd'hui, le Cambrien est une période clé de l'histoire de la vie, qui voit l'apparition de la plupart des groupes d'animaux actuels et de groupes aujourd'hui disparus. Il est cependant difficile de déterminer les stratégies alimentaires de ces organismes et notamment des arthropodes primitifs. Dans une étude publiée dans PLoS ONE, une équipe internationale comprenant un chercheur de l'Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (CNRS/ Université MONTPELLIER 2/IRD) vient de lever en partie le mystère en faisant le lien entre le processus de fossilisation de trilobites datant de plus de 500 millions d'années et le contenu de leur système digestif.
Bien que le système digestif, comme tous les organes internes, soit composé de tissus mous, sa fossilisation est fréquente, ce qui ouvre une fenêtre sur la biologie des organismes anciens. Présentée dans l'article de PLoS ONE, la découverte de telles structures chez plusieurs espèces de trilobites trouvés dans l'Utah révèle des détails inconnus de l'anatomieinterne de ces animaux, comme la position de la bouche ou l'absence d'estomac. Une paire d'organes située dans la partie postérieure du corps, sans équivalent chez les arthropodes actuels, a également été observée pour la première fois.
Comme seules les structures digestives ont été fossilisées, transformées en phosphate de calcium par une réaction nommée phosphatisation, cela a donné des indications sur la biologie de ces animaux primitifs. L'absence de phosphore dans le sédiment entourant les fossiles suggère que cet élément devait se trouver en grande quantité au sein même du système digestif à la mort de ces animaux. Ceci pourrait s'expliquer par la capacité des trilobites à stocker massivement, comme le font les arthropodes actuels, des ions (principalement du calcium et du phosphore) au sein de leurs glandes digestives. Toutefois, dans le cas de ces trilobites, la phosphatisation ne se limite pas aux glandes mais s'étend à la totalité du système digestif, ce qui suggère certaines particularités physiologiques et/ou écologiques. Une possibilité serait une capacité accrue de stockage d'ions, liée à la présence d'une carapace fortement minéralisée nécessitant d'être remplacée de nombreuses fois au cours de la croissance. Une alimentation extrêmement riche en phosphore est une autre hypothèse envisageable.
Cette étude démontre que la préservation d'organes internes chez les organismes fossiles est intimement liée à leurs fonctions et à leurs particularités anatomiques. Une meilleure compréhension des processus ayant permis leur fossilisation pourrait ainsi être un complément notable aux analyses morphologiques dans l'étude de la biologie des organismes ayant composé les premiers écosystèmes complexes.
Référence:
Controls on Gut Phosphatisation: The Trilobites from the Weeks Formation Lagerstätte (Cambrian ; Utah), PLoS ONE, Rudy Lerosey-Aubril, Thomas A. Hegna, Carlo Kier, Enrico Bonino, Jörg Habersetzer & Matthieu Carré.