Une étude menée au large du Chili et du Pérou par une équipe de chercheurs issus du Laboratoire d'océanographie microbienne (LOMIC/OOB, UPMC / CNRS) et du Center of oceanographic research for the eastern south Pacific (COPAS) de l'Université de Concepcion (Chili) a mis en évidence pour la première fois l'utilisation d'azote atmosphérique par des microorganismes marins dans des conditions de faible niveaux d'oxygène. Ce processus clé du cycle marin de l'azote avait longtemps été considéré comme une exclusivité des zones oligotrophes (très oxygénées mais pauvres en sels nutritifs).
Indispensable aujourd'hui à la majorité des espèces de notre planète, l'oxygène n'était pas présent lorsque la vie est apparue dans l'océan. Pendant à peu près la moitié de leur histoire, les microorganismes marins ont ainsi fonctionné sans cet élément. C'est l'azote qui jouait alors un rôle important dans leur physiologie. Aujourd'hui, il existe encore des zones dans l'océan où l'oxygène se fait rare et où prime le rôle de l'azote. Il s'agit des "Zones de minimum d'oxygène, OMZ" ou "Death zones". Certains groupes microbiens qu'elles hébergent sont capables d'utiliser diverses sources d'azote dissous dans l'océan (principalement ammonium et nitrate) pour produire de l'azote gazeux (N2), mais aussi des gaz à effet de serre tels que l'oxyde nitreux (N2O) 300 fois plus puissant que le gaz carbonique (CO2), tous ces gaz étant ensuite libérés dans l'atmosphère par l'océan. Une des plus importantes OMZ se trouve dans le Pacifique Sud-Est, au large du Chili et du Pérou. Du fait de son étendue, de ses fortes concentrations en sels nutritifs permettant des taux élevés de productivité biologique et de la grande variété des microorganismes qui s'y développent, cet écosystème contribue pour une part importante aux échanges de carbone et d'azote entre l'océan et l'atmosphère au niveau planétaire.
Au contraire de ces OMZ, de grandes étendues de l'océan tropical sont connues pour être des "déserts marins": bien que riches en oxygène, elles sont en effet pauvres en nutriments ce qui ne favorise pas la croissance du phytoplancton. Pour faire face à ces carences, certains organismes dits "diazotrophes" utilisent alors l'azote gazeux (N2) contenu dans l'atmosphère comme source principale d'azote et ce faisant l'intègrent à la chaîne trophique de la colonne d'eau sous forme de biomasse.
Cette vision du cycle marin de l'azote sous la forme de deux voies opposées, associées à des conditions environnementales précises, a prévalu jusqu'à aujourd'hui et marqué les calculs des bilans de cet élément au niveau global. La diazotrophie (fixation biologique de N2) est d'ailleurs majoritairement étudiée depuis plus de dix ans dans les eaux océaniques de basses latitudes, souvent dominées par des cyanobactéries habituées à des températures de l'eau dépassant les 25°C, tandis que la recherche dans les OMZ est souvent concentrée sur les processus responsables de la production de N2 sans oxygène.
Profil type des taux de fixation de N2 obtenus dans l'OMZ du Pacifique Sud.
Dans le cadre de deux campagnes océanographiques internationales en 2005 (organisée par WHOI, USA) et 2007 (expédition danoise Galathea-3), des mesures directes de diazotrophie ont été effectués par des chercheurs du LOMIC (France) et du COPAS (Chili) dans la grande OMZ située au large du Chili et du Pérou. Ces expériences ont été réalisées afin de suivre la consommation d'azote gazeux (N2) à l'aide de techniques de marquage isotopique et d'outils moléculaires. Ces techniques ont permis de détecter l'activité de microorganismes diazotrophes sur toute la colonne d'eau, de la surface jusqu'à 400 m de profondeur. C'est la première fois que la fixation d'azote moléculaire (N2) par des microorganismes marins est mise en évidence dans une OMZ, en outre à des profondeurs où l'eau est anoxique (dépourvue d'oxygène).
Ces résultats prouvent que les sources et puits d'azote peuvent coïncider en un même lieu de l'océan actuel. Ils ouvrent aussi de nouvelles questions sur leurs interaction et variabilité.Les scénarios probables du changement climatique prévoyant une expansion des OMZ dans l'océan mondial, il est important de poursuivre ces études afin de mieux estimer l'importance de ce processus de fixation d'azote moléculaire dans l'océan présent et futur.