Grâce aux récents progrès de la génétique, une équipe internationale vient de montrer que l'homme de Neandertal a migré jusqu'en Sibérie. Et qu'il possédait une forme d'un gène impliquée dans le langage.
Grande figure de la Préhistoire, l'homme de Neandertal reste entouré d'une part de mystère. Qui était vraiment ce proche cousin ? Depuis quelques années, des chercheurs internationaux – dont une équipe de l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (IGFL (1)) – accèdent au fragile matériel génétique de ses fossiles. Et grâce aux progrès de la paléogénétique, des traits de Neandertal se précisent (2): on sait désormais qu'il portait une forme d'un gène spécifique à l'homme, impliquée dans l'acquisition du langage, et qu'il a vécu en Sibérie, 2 000 kilomètres plus à l'est qu'on ne le pensait. Mais impossible à ce jour de préciser si cette espèce a parlé, ni si elle a croisé notre ancêtre Homo sapiens en Asie !
"C'est surprenant de trouver Neandertal si loin", confirme Ludovic Orlando de l'IGFL, cosignataire de l'étude dirigée par Svante Pääbo, de l'Institut Max Planck allemand (voir aussi notre news). Jusqu'ici, sa présence se limitait à l'Europe et au Proche-Orient, avec quelques incursions en Ouzbékistan (Asie centrale). Cette fois, les paléontologues ont analysé un os vieux de 30 000 à 38 000 ans, trouvé 2 000 kilomètres plus à l'est, dans la grotte Okladnikov de l'Altaï en Sibérie. À partir de fragments d'à peine 200 milligrammes, ils ont extrait et séquencé un marqueur historique – utilisé notamment pour tracer nos origines jusqu'à l'Ève africaine: l'ADN mitochondrial, qui échappe au brassage génétique puisqu'il est transmis seulement par la mère. "Les résultats obtenus en Allemagne ont été confirmés par notre équipe, explique Catherine Hänni, directrice de recherche à l'IGFL. La séquence trouvée dans cet échantillon est clairement de type Neandertal." À peine la nouvelle annoncée, tous les regards se tournent déjà plus à l'Est encore, en Chine, où des restes crâniens et des dents ont été retrouvés, dont la morphologie rappelle étrangement celle de notre cousin...
Retour sur les terres européennes. En Espagne maintenant, des os de deux Néandertaliens ont été mis au jour dans un but précis: étudier un des cinq gènes les mieux conservés chez les mammifères, FOX-P2. L'intérêt ? Sa séquence chez l'homme diffère de celle des autres primates. Pour savoir laquelle est présente chez Neandertal, encore fallait-il être sûr que les échantillons ne soient pas contaminés par de l'ADN des chercheurs. Durant les fouilles, ces échantillons ont donc été soumis aux mêmes précautions qu'en laboratoire: masques, gants, matériel stérile, etc., ont été utilisés. Au final, "les deux mutations de FOX-P2 connues chez l'homme sont présentes. Il s'agit d'un héritage de notre ancêtre commun", explique Ludovic Orlando. Puisque ce gène est lié à des troubles de l'articulation des mots lorsqu'il est déficient, peut-on déduire que Neandertal savait parler ? "Si ces modifications de FOX-P2 ont joué un rôle-clef dans l'apparition du langage, alors Neandertal en a aussi bénéficié, répond le scientifique, passionné mais prudent. Voilà tout ce que l'on peut dire aujourd'hui", conclut-il avant de s'interroger: "Il est difficile d'imaginer qu'une fonction aussi complexe que le langage n'implique pas d'autres gènes et aussi des facteurs culturels ?" Neandertal n'a donc pas fini de nous étonner...
Notes: (1) Institut CNRS / ENS Lyon / Université Lyon-I / Inra. (2) Nature, vol. 449, n° 7164, 18 octobre 2007, pp. 902-904 et Current Biology, vol. 17, n° 21, 6 novembre 2007, pp. 1908-1912.