Le fardeau de l'otite

L'otite empoisonne lentement mais sûrement la vie de nombreuses familles qui ont de jeunes enfants, révèle une étude publiée dans le Canadian Family Physician. Le problème n'est pas près de se résorber et il pourrait même s'envenimer si médecins et parents continuent d'attaquer le problème à coups d'antibiotiques, prévient l'un des auteurs de l'étude, le professeur Philippe De Wals, de la Faculté de médecine.

Ève Dubé, Philippe De Wals, Vladimir Gilca, Nicole Boulianne, Manale Ouakki, France Lavoie et Richard Bradet, de la Faculté de médecine, du Centre de recherche du CHUQ et de l'Institut national de santé publique, ont mené une étude pour établir le fardeau imposé par l'otite aux familles canadiennes. Ils ont effectué une enquête téléphonique auprès de 502 ménages qui comptaient au moins un enfant âgé de six mois à 5 ans. Les données récoltées indiquent que 32 % des répondants ont vécu au moins un épisode d'otite dans les 12 mois précédant l'enquête. Le nombre moyen d'épisodes s'établissait à 2,2; certaines familles, moins chanceuses, ont atteint le plateau des 10 otites. La durée moyenne de chaque épisode est de six jours et 38 % des parents ont dû s'absenter du travail pour veiller sur leur enfant malade. Le nombre d'heures de travail ainsi perdues se chiffre à près de 16 par épisode.

Lors de la dernière otite, la grande majorité des parents (94 %) se sont présentés dans une clinique avec leur enfant; plus de 99 % d'entre eux en sont ressortis avec une prescription d'antibiotiques. La pratique médicale actuelle n'est pas au diapason des données probantes sur le traitement de cette infection, souligne le professeur De Wals. En effet, l'otite est la principale cause de prescription d'antibiotiques chez l'enfant, même si la plupart de ces infections se résorbent d'elles-mêmes. "Les organisations pédiatriques préconisent l'attente vigilante. On recommande aux parents de donner un analgésique à l'enfant pour atténuer la douleur, tout en surveillant les symptômes. Si 48 à 72 heures plus tard, la douleur et la fièvre persistent, on recommande alors de consulter un médecin."

Bien que ces lignes directrices soient en vigueur depuis de nombreuses années, la prescription d'antibiotiques pour le traitement de l'otite n'a pas changé depuis dix ans, notent les auteurs de l'étude. "L'otite moyenne aiguë n'est pas facile à diagnostiquer, surtout quand les enfants ne collaborent pas, reconnaît Philippe De Wals. Les médecins préfèrent l'erreur par excès à l'erreur par défaut, alors ils prescrivent un antibiotique au cas où il s'agirait d'une otite. Le résultat est qu'il y a surdiagnostic d'otites et surprescription d'antibiotiques." Rappelons qu'au Québec, les otites représentent 11 % des consultations médicales faites pour des enfants de moins de 10 ans, ce qui entraîne des coûts appréciables pour la société.

L'attitude des parents ne favorise pas toujours un traitement optimal de l'otite, ajoute le professeur. "De nombreux parents se présentent à la clinique avec une idée bien arrêtée en tête. Certains veulent une prescription d'antibiotiques alors que d'autres, pour des questions de principe, n'en veulent absolument pas. Le médecin en vient à soigner les demandes, pas les besoins." La combinaison de médecins débordés et de parents excédés favorise une surprescription d'antibiotiques qui conduit tout droit à l'émergence de souches de bactéries résistantes.

Pour que les choses changent, "il faut que les médecins prennent le temps de mieux diagnostiquer l'otite en utilisant des critères rigoureux, et il faut des parents responsables qui écoutent les conseils de leur médecin, résume le professeur De Wals. À moins qu'il y ait adoption d'incitatifs pour favoriser un changement dans la pratique médicale, il faudra patienter encore de nombreuses années avant que le traitement de l'otite évolue."