Lorsque les cellules tumorales acquièrent la capacité de se déplacer et d'envahir d'autres tissus, il y a un risque de métastases et le traitement des cancers devient alors plus difficile. Carine Rossé, chargée de recherche Inserm, Philippe Chavrier, directeur de recherche CNRS, en collaboration avec le Dr Anne Vincent-Salomon, médecin-chercheur à l'Institut Curie, viennent de découvrir un des mécanismes qui permettent aux cellules des cancers du sein triple-négatifs de sortir de la glande mammaire. Ces résultats sont publiés on line par PNAS le 21 avril 2014.
Comprendre comment les tumeurs primaires s'infiltrent dans les tissus, comment certaines cellules s'en détachent et migrent à distance pour former des métastases, constitue un enjeu majeur de la cancérologie actuelle. C'est pourquoi l'Institut Curie a lancé en 2011 un Programme incitatif et coopératif (PIC), intitulé "Cancer du sein: invasion et motilité", afin de mettre des moyens importants à la disposition des équipes qui se battent sur ce terrain.
La genèse d'un cancer: une mutation peut modifier la structure d'un gène réglant le contrôle de la multiplication. La probabilité qu'une seconde mutation apparaisse et soit sélectionnée est alors plus importante. Une seconde population sera alors générée, plus anormale que la première et va se développer à ses dépens. On peut ainsi accumuler plusieurs mutations, chacune d'entre elles permettant la sélection d'un clone de plus en plus malin pour finir par une cellule hautement cancéreuse. Illustration: Wikipédia
Les deux coordinateurs de ce programme, Philippe Chavrier, Directeur de recherche CNRS, et Anne Vincent-Salomon, médecin et chercheuse, se sont associés pour mieux comprendre comment les cellules d'un cancer du sein rompent les amarres pour commencer à envahir d'autres tissus. Et c'est sur l'une des formes de cancer du sein les plus agressives à ce jour, les cancers du sein triplenégatifs, que porte leur dernière découverte. "Ces cancers du sein sont dénués de récepteurs aux œstrogènes et à la progestérone, et ne sur-expriment pas HER2. Les femmes porteuses de ce type de cancer ne peuvent donc ni bénéficier d'une hormonothérapie, ni de thérapie ciblée anti-HER2 comme l'Herceptin" explique le Dr Anne Vincent-Salomon.
Un tunnel dans la membrane basale
Carine Rossé et Philippe Chavrier viennent de découvrir comment les cellules de ces cancers du sein brisent les liens qui les relient à leur tissu d'origine. "Pour s'échapper, les cellules tumorales doivent creuser un tunnel dans la membrane basale qui délimite la glande mammaire" explique Philippe Chavrier.
Son équipe montre que la protéine PKC et la protéase MT1-MMP sont des moteurs de cette "invasion" cellulaire. Si on "éteint" PKC dans des lignées de cellules issues de cancer du sein agressif, l'approvisionnement en MT1-MMP au niveau de la surface des cellules est bloqué et l'invasion cellulaire n'est pas possible.
Grâce au Centre de Ressources Biologiques de l'Institut Curie, où sont conservés près de 60 000 échantillons de tumeurs, les chercheurs ont également étudié ces protéines directement dans des prélèvements tumoraux. "Nous montrons, dans les cancers du sein, des corrélations d'expression entre ces deux protéines, associées à un pronostic défavorable", explique le chercheur. "Nous avons également identifié un mécanisme dans lequel ces deux protéines fonctionnent de concert pour augmenter le pouvoir invasif des cellules tumorales mammaires".
Les chercheurs viennent de franchir une étape essentielle pour identifier précocement les tumeurs au fort pouvoir invasif, voire pour envisager de bloquer la formation des métastases. "Nous avons identifié des cibles intéressantes pour d'éventuels traitements, mais elles restent à valider", tempère le biologiste. Viendra donc ensuite le temps de la mise au point, avec l'aide de chimistes, de médicaments capables d'enrayer ces mécanismes.