Formuler des nanoparticules est une étape indispensable dans de nombreux domaines d'application, de la conception de vecteurs thérapeutiques à la création de peintures ou de microémulsions. Comme les blocs élémentaires de ces nanoparticules sont généralement des polymères ou des molécules ionisés, leur assemblage dépend fortement des interactions électrostatiques et de la distribution spatiale des charges. Révéler la cinétique d'assemblage et l'implication d'hétérogénéités spatiales dans la stabilité des nanoparticules est un enjeu majeur, dont certains mécanismes restent à découvrir.
Les polyélectrolytes fortement chargés (des polymères de forte densité de charges) peuvent s'auto-assembler en présence d'agents condensants tels que des ions multivalents, des molécules amphiphiles ou des protéines de charge opposée. Si l'assemblage peut atteindre une taille macroscopique proche des conditions iso-stoechiométriques, conditions pour lesquelles les charges ajoutées en quantité équivalente se neutralisent, la formation de micro ou nanoparticules solubles a été observée dans de multiples systèmes loin de ces conditions. Toutefois le contrôle précis des structures souhaitées de ces particules est rendu compliqué du fait de l'extrême sensibilité au protocole de préparation suivi. De plus, même si de nombreuses études théoriques et simulations se sont focalisées spécifiquement sur la formation des complexes polyélectrolytes-ions multivalents, les mécanismes impliqués restent en partie mystérieux et donc à élucider.
Nano-complexes d'ADN formés en présence de petites protéines (protamines) (droite: clichés de cryomicroscopie électronique révélant un espacement régulier des double-hélices ; gauche: résultats de simulation moléculaire). Code couleur: ADN (en gris) et ses cations monovalents (bleu), protamines (rouge) et ses anions monovalents (vert).
Notre étude concerne l'ADN, considéré comme l'archétype du polyélectrolyte fort. Sa structure et ses propriétés ont été largement étudiées. Sa condensation est un processus pertinent à la fois pour la compaction du génome in vivo et pour le design d'agents thérapeutiques non viraux. L'agent condensant choisi est la protamine, une petite protéine basique possédant une forte densité de charge, responsable de la compaction de l'ADN dans les spermatozoïdes. Du fait de leur charge opposée, de courts fragments d'ADN et des protamines peuvent s'auto-assembler sous forme de nanoparticules. Ces nanoparticules adoptent une forme cylindrique avec les fragments d'ADN alignés côte-à-côte avec une structure hexagonale transverse. Nous avons combiné expériences et simulations moléculaires pour explorer la cinétique de l'assemblage ainsi que la structure résultante des nanoparticules. Nous démontrons que les inhomogénéités du mélange induites par le protocole expérimental suivi jouent un rôle crucial dans la formation et la stabilisation de ces nano-agrégats. Nos résultats devraient permettre de réinterpréter certains comportements mystérieux observés dans plusieurs systèmes constitués de polyélectrolytes fortement chargés.
Référence publication:
A route to self-assemble suspended DNA nano-complexes
Yves Lansac, Jeril Degrouard, Madalena Renouard, Adriana C. Toma, Françoise Livolant & Eric Raspaud
Scientific Reports 6, 21995 (2016) doi:10.1038/srep21995