Par Bruno Mougin - Ingénieur hydrogéologue, BRGM & Alexandre Boisson - hydrogéologue, BRGM
La Bretagne, région réputée pluvieuse, a été sévèrement touchée à l'été 2022 par une sécheresse qui a sérieusement menacé l'alimentation en eau potable. Pendant cet événement, il existait un risque avéré de rupture d'approvisionnement du fait de l'épuisement des ressources en eau, accentué par le tourisme, la croissance des cultures et l'abreuvement des animaux - plus nombreux que les Bretons eux-mêmes.
La Bretagne a certes connu des sécheresses estivales sévères de par le passé (1976, 1989, 2003, 2011, 2017). Mais malgré sa réputation de région humide, ces événements historiquement rares semblent devenir de plus en plus fréquents.
Pourquoi, dans une région où il pleut régulièrement, ce risque d'épuisement constitue-t-il désormais une menace ? Le changement climatique est certes en cause, mais cela tient aussi aux spécificités hydrogéologiques du sous-sol breton.
Une année 2022 exceptionnellement sèche
En 2022, la Bretagne a connu une période de sécheresse exceptionnelle par sa durée et son intensité. La région a certes connu de précédents épisodes de sécheresse dans les années 2000, mais de moindre ampleur. La sécheresse de 2022 a été précédée par un important déficit pluviométrique hivernal qui est venu aggraver la situation estivale, avec des débits de cours d'eau et des niveaux de nappes historiquement faibles.
Afin d'éviter les pénuries d'eau potable, la dégradation de la qualité de l'eau, des écosystèmes aquatiques et de la ressource en eau, des restrictions d'usage ont été imposées par des arrêtés préfectoraux. Les préfets ont même été jusqu'à demander aux fournisseurs d'eau d'estimer le nombre de jours qui restaient avant de vider totalement les réserves, une première depuis au moins 20 ans.
Six communes des monts d'Arrée ont connu des ruptures d'alimentation en eau potable: Berrien, Plouyé, Botmeur, Plounéour-Menez, Brasparts et Saint-Rivoal.
Le contexte hydrogéologique breton
Péninsule posée sur un socle souvent granitique, au contexte géologique et hydrogéologique complexe, la Bretagne est parcourue par 30 000 km de cours d'eau connectés à des nappes souterraines qui sont présentes partout sur le territoire. Le développement économique et démographique de la région est notamment conditionné par l'accès aux ressources naturelles du territoire, en particulier les ressources en eau, qui doivent être gérées de façon durable.
Celles-ci sont utilisées pour des usages variés: eau potable, usages agricoles ou industriels. Mais les besoins ont tendance à augmenter ces dernières années, en lien avec la pression démographique exacerbée par le tourisme estival ou l'intensification des usages agricoles.
L'eau potable provient en Bretagne essentiellement des ressources superficielles (fleuves, rivières, barrages, etc.). 75 % de l'eau y est prélevée, contre seulement 25 % dans les eaux souterraines. Au niveau national, ce rapport est inversé: seulement 36 % de l'eau provient de la surface, contre 64 % pour l'eau souterraine.
D'où vient l'eau potable en Bretagne. ARS Bretagne
Les eaux souterraines, même si elles ne représentent qu'une part minoritaire des prélèvements, constituent une ressource cruciale. Il existe pour les capter près de 30 000 points (forages, puits, sources et drains) pour des usages variés, essentiellement agricoles.
D'autant plus que cette séparation entre eaux de surface et eaux souterraines n'est pas toujours aussi nette qu'il y paraît. En Bretagne, les deux sont en contact permanent: les nappes participent à l'alimentation des rivières tout au long de l'année, majoritairement en été, ce qui permet de préserver les milieux (faune, flore) en période sèche, notamment dans les zones humides. Les études évaluent à la contribution globale annuelle des eaux souterraines à 40 à 80 % des débits totaux des cours d'eau.
La pluie bretonne ne recharge pas toujours les nappes phréatiques
On dit la Bretagne pluvieuse, mais la pluviométrie y est contrastée. Le niveau des pluies varie du simple au double d'ouest en est: 700 mm par an près de Rennes contre 1400 mm par an au niveau des monts d'Arrée dans le Finistère.
En réalité, seule une partie des pluies est réinjectée dans le cycle de l'eau. On parle de précipitations "efficaces" qui, non reprises par l'évapotranspiration (au niveau du sol et des végétaux), ruissèlent à la surface du sol et s'infiltrent jusqu'aux nappes phréatiques.
Là aussi, ces précipitations efficaces varient du simple (150 mm à Rennes), au quadruple (600 mm à Quimper). Ce faible volume - tout juste de quoi se mouiller les pieds - provient essentiellement des pluies qui tombent entre octobre et mars. En effet, les eaux souterraines se remplissent pendant cette période cruciale (automne-hiver), puis se vidangent pendant le reste de l'année. Les cycles montée/descente du niveau des nappes bretonnes sont donc annuels, contrairement aux grands aquifères sédimentaires présents dans les Bassins parisien ou aquitain, dont le volume fluctue plus lentement du fait de leur grande taille (et dont les cycles montée/descente s'étendent sur plusieurs années).
Les nappes phréatiques bretonnes sont ainsi dites "réactives": elles sont très sensibles à la quantité d'eau infiltrée, c'est-à-dire au volume de pluies efficaces. Elles s'opposent aux nappes dites dites "inertielles" que l'on retrouve dans d'autres régions, qui ont un cycle d'évolution pluriannuel.
Quand la géologie régule le cycle de l'eau
Pour comprendre cette différence, il faut s'intéresser à la géologie des aquifères bretons. En Bretagne, il n'existe pas de grands aquifères, mais une mosaïque de petits systèmes imbriqués. Il s'agit principalement d'aquifères dits "de socle", abrités dans des roches dures anciennes (granite, schistes, grès, gneiss, micaschistes...). Dans un aquifère de socle, l'eau est stockée dans la roche grâce à sa porosité, et circule surtout grâce au réseau de fissures de fractures dans celle-ci. La vitesse de circulation de l'eau dépend de la nature de la roche.
Les écoulements y sont beaucoup plus lents que dans une rivière, mais une large partie du stock se vide chaque année pour alimenter les cours d'eau en surface. Plus qu'un stock, il s'agit d'un volume en transition lente qui permet aux milieux naturels de passer l'été. L'idée selon laquelle les nappes seraient des lacs où l'eau ne circule pas est donc erronée !
Compte tenu du déphasage entre le cycle des variations des niveaux de nappe et celui des précipitations et des cours d'eau, les niveaux des nappes, à la fin de l'hiver, informent sur le futur état des rivières sur les deux à cinq mois à venir.
Les niveaux de nappe, bon prédicteur de sécheresse en Bretagne
La hauteur d'eau disponible dans les nappes est justement suivie en continu et en temps réel par le BRGM sur 52 stations bretonnes à l'aide de piézomètres. Celle-ci varie entre des niveaux hauts en hiver et bas en été.
Comme ces nappes sont en lien permanent avec les rivières, leur suivi peut s'avérer être un bon indicateur d'alerte sécheresse, notamment l'été quand il ne pleut quasiment plus. Il est ainsi possible d'anticiper une hauteur d'eau dans une rivière ou sur un barrage à partir des mesures sur les nappes.
Lorsque les nappes sont à des niveaux historiquement bas, les puits utilisés pour l'alimentation en eau potable risquent de se retrouver à sec. Il en est de même pour les forages agricoles peu profonds, dont les usagers doivent alors se reporter sur l'eau du réseau public, qui provient majoritairement des eaux de surface.
Passer d'une gestion réactive à une gestion préventive
Le contexte géologique breton entraine donc une gestion de l'eau extrêmement réactive. Exposés au risque de sécheresses consécutives, la plupart des grands aquifères français peuvent fournir de l'eau sur plusieurs années au risque d'une baisse très importante des niveaux et d'une détérioration des ressources sur le long terme. A l'inverse, en Bretagne, les ressources de l'été dépendent de la pluviométrie de l'hiver qui précède.
Même si la situation de l'année 2024 face au risque sécheresse est plus confortable que celle des années précédentes, le suivi et la communication sur l'état des ressources (grâce aux bulletins régionaux de situation du BRGM notamment) et l'anticipation saisonnière restent cruciales. La variabilité climatique est amenée à s'accentuer dans le futur (événements extrêmes plus fréquents et intenses), couplée à une capacité de stock limitée. Cela rend cette région plus vulnérable aux sécheresses.
Malgré ces défis, il est possible d'agir. Les stocks d'eau présents dans les lacs de barrages (également utilisés comme réserves d'eau potable) sont limités et peuvent être insuffisants en cas de faible remplissage suite à des hivers secs ou des périodes sèches prolongées. Certaines études récentes anticipent des difficultés croissantes de remplissage.
Dans le contexte breton, les eaux souterraines pourraient constituer une solution à mieux exploiter à l'avenir pour sécuriser l'approvisionnement en eau potable. Une telle exploitation devrait toutefois être menée de façon raisonnée pour limiter l'impact sur les milieux de surface et maintenir sa qualité face à des problèmes d'intrusions salines latents près des côtes.