La diminution de la couverture de glace et la remontée des éléments nutritifs causés par les tempêtes plus fréquentes ont contribué à l'avènement d'une double floraison de phytoplancton dans plusieurs régions de l'océan Arctique.
À la faveur des changements climatiques, l'océan Arctique se transformerait progressivement en milieu tempéré. C'est la conclusion à laquelle arrive une équipe internationale de chercheurs après avoir observé l'apparition d'une floraison automnale de phytoplancton dans plusieurs zones de l'océan Arctique. Les détails cette étude, qui a mis à contribution des chercheurs de l'Unité mixte internationale Takuvik de l'Université Laval et du CNRS, de l'UQAR et de l'Université de Washington, sont publiés dans un récent numéro de Geophysical Research Letters.
La production de phytoplancton océanique dépend de l'abondance de la lumière solaire et des éléments nutritifs. Dans l'océan Arctique, la superficie de glace a diminué, en moyenne, de 14% par décennie depuis 1980, ce qui a accru la disponibilité de la lumière pour le phytoplancton. Par contre, le réchauffement climatique a fait augmenter le volume d'eau douce, provenant des rivières et de la banquise, qui se jette dans la mer. "Ceci accroît la stratification de la colonne d'eau, ce qui génère une barrière physique empêchant la remontée des éléments nutritifs vers la surface, où se trouve le phytoplancton", explique Mathieu Ardyna, premier auteur de l'étude.
Pour connaître la résultante de ces forces opposées, les chercheurs ont estimé la concentration de chlorophylle - un indicateur de la biomasse phytoplanctonique - à l'aide d'images satellitaires provenant de la NASA. Conclusion ? Entre 1998 et 2012, la production de phytoplancton a non seulement augmenté dans l'ensemble de l'océan Arctique, mais elle a adopté une configuration typique des milieux tempérés. En effet, de plus en plus de régions arctiques affichent une double floraison de phytoplancton, une première au printemps et une seconde à l'automne. Auparavant, on observait, règle générale, une seule floraison annuelle, au printemps. "La double floraison est caractéristique des eaux situées en zones tempérées de l'Atlantique et du Pacifique", souligne Marthieu Ardyna.
Selon l'étudiant-chercheur, cette floraison automnale résulterait d'une combinaison de deux facteurs: d'une part, une plus grande superficie d'eau libre de glace pendant une plus longue période de l'année et, d'autre part, un brassage des eaux plus vigoureux en raison des tempêtes plus fréquentes et plus puissantes. "Au cours des dix dernières années, le nombre de jours avec tempête pendant les mois de septembre et d'octobre a doublé dans la plupart des régions libres de glace de l'océan Arctique", souligne-t-il.
Les répercussions possibles de cette floraison automnale ? "On peut s'attendre à ce qu'il y ait plus de phytoplancton, plus de zooplancton et plus d'organismes qui s'en nourrissent. Par contre, les espèces associées au couvert de glace, par exemple la morue arctique ou les algues de glace, et les espèces benthiques qui en dépendent, pourraient pâtir de ce changement majeur."
L'étude parue dans Geophysical Research Letters est signée par Mathieu Ardyna, Marcel Babin, Emmanuel Devred et Jean-Éric Tremblay, de Takuvik, Michel Gosselin, de l'UQAR, et Luc Rainville, de l'Université de Washington.