La pomme est l'un des fruits préférés des Français mais peu de gens savent que le pommier cultivé (Malus domestica) est une espèce bien distincte du pommier sauvage européen (Malus sylvestris). Si le premier est originaire d'Asie centrale, le second, qui produit de petites pommes amères, est présent naturellement dans la majorité des forêts françaises. Une étude récente, menée par des chercheurs du Laboratoire Ecologie, Systématique et Evolution (ESE - CNRS /Université Paris-Sud/AgroParisTech), révèle que, favorisés par les activités humaines, les flux de gènes entre ces deux espèces menacent l'intégrité du pommier sauvage européen. Parus récemment dans la revue Evolutionary Applications, ces travaux tirent plusieurs conclusions importantes pour la sauvegarde du pommier sauvage.
Pour cette étude, les chercheurs ont comparé l'ADN de 300 variétés de pommiers domestiques et de plus de 2000 pommiers sauvages, dont 1300 en France. Ils ont, par ailleurs, utilisé la base de données sur l'observation des pollinisateurs en France par des particuliers, coordonnée par le Muséum nationale d'histoire naturelle (MNHN). Grace à ces données, les chercheurs ont démontré que plus de 23% des pommiers considérés comme sauvages en France sont en fait des hybrides entre pommiers sauvages et cultivés. Cette hybridation est favorisée par la culture de pommes (la densité et le nombre de vergers). D'autres activités humaines comme l'agriculture ou l'industrie affectent aussi la fréquence et le type des pollinisateurs (abeilles, papillons...), ce qui indirectement peut augmenter les taux d'hybridation. A l'inverse, le pommier sauvage européen a également largement contribué, via des flux de gènes secondaires, au génome actuel du pommier cultivé, à tel point que, aujourd'hui, le pommier cultivé est plus proche génétiquement du pommier sauvage européen que du pommier sauvage asiatique originel.
Les chercheurs ont également mis en évidence l'existence de cinq groupes de pommiers sauvages génétiquement différents, chacun avec une répartition géographique spécifique: un en Europe du Nord, un à l'est de l'Europe, un au sud de l'Europe, un à l'ouest de la France, et un à l'est de la France. "Ces résultats indiquent que la conservation du pommier sauvage européen, passant par sa réincorporation dans les agro-écosystèmes et les forêts, doit intégrer deux réalités non prises en compte actuellement par les programmes de sauvegarde: la possibilité que les graines récoltées sur les pommiers sauvages soient en fait des hybrides ; et la probabilité qu'une graine récoltée sur un pommier sauvage adapté à une région donnée ne puisse pas bien pousser dans une autre région ", souligne Tatiana Giraud, directrice adjointe de l'ESE.