Un solide qui s'écoule tel un liquide !? C'est ce qu'affirment depuis 2004 Eunsong Kim et Moses Chan, à l'université d'État de Pennsylvanie. Ces physiciens ont en effet observé au cœur d'un échantillon d'hélium solide une propriété typique de l'hélium à l'état de superfluide ! Superfluide ? C'est ainsi que se comporte l'hélium liquide refroidi à des températures proches du zéro absolu: chacun de ses atomes se trouve dans le même état quantique – comme dans un condensat de Bose-Einstein – et il s'écoule alors sans la moindre résistance.
Depuis 2004, le paradoxe de Kim et Chan mobilise les plus grands spécialistes. Mais aujourd'hui, Sébastien Balibar, au Laboratoire de physique statistique de l'ENS, à Paris, est affirmatif: "Si certains échantillons d'hélium solide coulent, c'est parce qu'ils contiennent de nombreux défauts à l'intérieur desquels l'hélium est superfluide." En somme, ces solides imparfaits seraient plus poreux que fluides.
Ce morceau d'hélium cristallin s'écoule tel un liquide, affirment des chercheurs américains. Preuve à l'appui, l'équipe de S. Balibar dément
Kim et Chan avaient pourtant défrayé la chronique. Lors d'une expérience malmenant un morceau d'hélium solide, ils avaient constaté qu'à l'approche du zéro absolu (environ -273°C), une partie à l'intérieur de cet échantillon se désolidarisait du reste et cessait de se comporter comme un solide. Explication proposée: à très basse température, des sites vacants dans le réseau atomique cristallin subissent une condensation de Bose-Einstein. Avec la conséquence suivante: à l'intérieur du solide, une partie se déplace comme un superfluide.
Mais pour le physicien français, "l'interprétation de cette expérience pose problème. En particulier depuis qu'Anne-Sophie Rittner et John Reppy, à l'université de Cornell, ont montré que l'effet observé par Chan disparaissait après un recuit". Cette technique bien connue des métallurgistes consiste à chauffer puis refroidir un solide mal cristallisé, afin de faire disparaître les défauts séparant les zones cristallisées. Bref, si l'hélium solide de Chan coule, ce serait une conséquence de sa mauvaise cristallisation, et non une propriété intrinsèque de l'hélium cristallin.
Pour en avoir le cœur net, Sébastien Balibar et son équipe ont imaginé une expérience permettant de voir (ou non) couler l'hélium solide, et aussi d'apprécier visuellement la qualité de sa cristallisation. Pour ces chercheurs, cela ne fait aucun doute: "Lorsqu'il est sous la forme d'un cristal parfait, l'hélium solide ne coule pas. Inversement, lorsque le cristal est fait de plusieurs cristaux disjoints, les défauts les séparant sont superfluides et permettent un transport de matière à l'intérieur du solide mal cristallisé."
Pour autant, les physiciens d'outre-Atlantique ne s'avouent pas vaincus. Et comme l'annonce Sébastien Balibar, "plusieurs expériences sont en cours afin de mettre tout le monde d'accord. Dans tous les cas, cette histoire aura eu le mérite de forcer les physiciens à tester les limites de leur compréhension de la matière !".