Triton, principal satellite de Neptune, est passé devant une étoile, le 6 octobre 2022. Ce phénomène fut l'occasion d'une vaste campagne d'observations en Inde, Chine et depuis l'espace, menée sous la direction d'un scientifique de l'Observatoire de Paris - PSL, permettant de mesurer la pression atmosphérique régnant à sa surface. Publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics, le 27 février 2024, la valeur obtenue soulève des questions.
L'observation d'une occultation stellaire par un objet du Système solaire est une méthode très puissante pour mesurer ses dimensions, mais aussi éventuellement détecter des anneaux, mettre en évidence une atmosphère et mesurer sa densité.
Cette méthode a été en particulier utilisée avec succès à plusieurs reprises pour étudier, en fonction du temps, l'évolution de la pression de surface de Pluton et celle de Triton, le plus gros satellite de Neptune.
Les deux objets, de taille comparable, sont aussi de nature similaire avec une atmosphère très ténue d'azote moléculaire; Triton, tout comme Pluton, est sans doute à l'origine un objet transneptunien, et qui par la suite a été capturé par le champ de gravité de Neptune.
L'atmosphère de Triton nous est connue depuis le survol de Neptune par la sonde Voyager 2 en 1989. D'une épaisseur de 100 km, elle a depuis été régulièrement étudiée grâce à des occultations stellaires. (1)
Une sixième campagne d'observation
La précision astrométrique accrue fournie par le catalogue DR3 de Gaia a permis d'améliorer les prédictions de ce type de phénomène, et une nouvelle occultation par Triton a été observée le 6 octobre 2022; la campagne a été coordonnée par l'Observatoire de Paris - PSL dans le cadre du programme Lucky Star.
L'événement a été observé avec succès depuis un site en Chine, un autre en Inde, et depuis le satellite CHEOPS en orbite autour de la Terre; la campagne comprenait d'autres points d'observations (huit au total en Inde, Japon et Russie) mais qui, à cause de la présence de nuages, se sont révélés infructueux.
À partir des données recueillies, les auteurs de l'étude ont pu mesurer la pression au sol de Triton, estimée à 14,5 microbars. Or, cette valeur est exactement la même que celle mesurée en 2017, et aussi celle mesurée par Voyager 2 en 1989.
Ce résultat est surprenant car Triton est passé au solstice d'été pour l'hémisphère sud en 2000 (2), ce qui devrait correspondre à un maximum de pression; certaines observations d'occultation, dans les années 1990, avaient d'ailleurs indiqué une élévation par rapport à la valeur de Voyager 2. On s'attendrait donc à ce que la pression décroisse depuis cette date, et en particulier depuis 2017, ce qui n'est pas le cas.
Ce nouveau résultat suggère donc que les modèles actuels décrivant le transfert des volatils dans l'atmosphère de Triton en fonction de l'insolation sont trop simples et doivent être revus pour mieux prendre en compte les interactions entre surface et atmosphère.
Référence:
Sicardy, B. et al. 2024. Constraints on the evolution of the Triton atmosphere from occultations: 1989 - 2022. Astron. Astrophys. 682, L24. https://arxiv.org/abs/2402.02476
Notes:
(1) De précédentes occultations ont permis de sonder l'atmosphère de Triton, en 1989, 1995, 1997, 2008 et 2017.
(2) En 2000, Triton a connu un solstice extrême qui se produit tous les 650 ans.