Quelle terreur s'empara jadis de l'imagination populaire, lorsque tombaient ces averses rouges, présages des pires calamités ! De nos jours, le microscope a permis d'expliquer ce phénomène simple, et la pluie sanglante n'effraie plus personne. Eternel triomphe de la
Science qui dévoile un à un et lentement les secrets de la Nature.
Les Pluies de Sang et les Terreurs d'Autrefois
L'antiquité et le Moyen Age. -Nos aïeux, enclins à voir dans tout phénomène de la nature des présages célestes, regardaient avec terreur les pluies de sang. Homère fait tomber une pluie de sang sur les héros grecs, présage de mort pour eux. Plutarque parle de pluies de sang survenues après des batailles, et les attribue aux vapeurs sanglantes des morts allant se condenser dans les nuages. Il pleut du sang à Rome, lors du meurtre de Tatius. En 582 de notre ère, Grégoire de Tours rapporte qu'il plut du sang à Paris, et que les habitants "dépouillèrent avec horreur" les vêtements qui en étaient tachés. En 754, du sang tombe à Tours, et tache les vêtements en forme de croix. Dix ans plus tard, en Hongrie, une pluie de sang annonce et précède une épidémie de peste. Même pluie sanglante à
Brescia, où les gouttes rouges tombent pendant trois jours; la pluie cesse et le pape Adrien II rend le dernier soupir.
Du Moyen Age à nos Jours. -A mesure que se développait l'esprit d'examen, le phénomène terrifiant trouvait des explications de plus en plus proches de la vérité. Le 17 Mars 1669, une pluie de sang tombe à Châtillon-sur-Seine. On reconnaît que cette pluie est formée d'eaux stagnantes et boueuses, enlevées par un tourbillon aux mares des environs. -En 1744, il pleut du sang près de Gènes, à
Saint-Pierre d'Arena, la pluie étant mêlée d'une terre rougeâtre provenant de la
montagne voisine.
Le 14 Mars 1813, une pluie rouge couvre de gouttes de sang Naples et les Calabres. La foule emplit la cathédrale, croyant au jugement dernier. Mais un savant, Sementini, analyse les gouttes et y trouve du fer et du chrome, principes de la coloration.
Le Pain Rouge. -Les terreurs occasionnées par les pluies de sang redoublaient encore quand d'autres phénomènes apparaissaient. Parfois, pendant les chaleurs torrides des grands étés, le pain était taché de sang. Les pommes de terre bouillies, le riz cuit étaient parsemés de taches rouges.
Ces prodiges, longtemps incompris et bien propres à effrayer les multitudes, ont pour cause toute simple le développement d'un champignon microscopique, le micrococcus prodigiosus.
La Pluie de Sang du 10 Mars 1901. -Le Lac Sanglant
Les Pluies de Couleur et leur explication scientifique. -La Science explique aujourd'hui toutes les pluies extraordinaires, qu'elles soient rouges comme les pluies de sang, jaunes comme les pluies de soufre, noires comme les pluies d'encre; qu'il pleuve de la poussière, des pierres, du foin, du riz, des fourmis, des sauterelles, et même des poissons! Les pluies de couleur sont colorées par des algues, des pollens de fleurs transportés par le vent ou par des poussières en
suspension dans l'
atmosphère, provenant souvent des régions les plus éloignées, parfois d'éruptions volcaniques. Les pluies d'
insectes ou d'animaux ont la même origine.
Quelques exemples récents de pluies colorées.
-En 1880, une pluie de sang tombe sur le mont Djebel-Sekra, près d'Ouessin (Maroc); la pluie étant colorée en rouge par une algue microscopique (Protococcus fluvialis), que les vents du sud avaient récoltée sur les Chotts.
-Le 17 août 1883, une pluie de foin tombe à Aarau (Suisse); le foin avait été enlevé par une trombe d'un champ fraîchement fauché.
-Le 24 février 1884, pluie de poussière rouge à Limoges.
-Le 21 Juillet 1887, pluie de fourmis à Nancy.
-Le 3 Mai 1887, pluie jaune (pluie de soufre des anciens) à Fontainebleau.
-Pluie de sang le 13 déc. 1887, à Fay-Nuih (Indochine).
-Pluie d'encre le 14 août 1888 au Cap de Bonne-Espérance, particules volcaniques et cosmiques.
La Pluie de Sang du 10 Mars 1901. -Ce jour-là à
Palerme en Sicile, le ciel se couvrit d'un voile rouge et la pluie sanglante se mit à tomber en gouttes épaisses qui se coagulaient rapidement. M. Meunier a analysé ces taches de sang qui, après l'
évaporation, ont laissé une poussière extrêmement fine, rayant le verre, et dont les grains étaient entourés de bulles d'air très adhérentes.
Au microscope, on apercevait dans cette poussière des grains de quartz et des cristaux cubiques transparents de sel marin ou de gypse, selon tonte probabilité. Cette poussière contenait également des corpuscules organiques, principalement des végétaux. M. Meunier concluait de ces observations que la pluie de sang de Sicile n'était autre chose qu'une pluie de poussières arrachées par le vent au sol du
désert du Sahara.
Le Lac Sanglant. -Les lacs eux-mêmes revêtent parfois cette coloration sanglante de la pluie. Tel le
lac de Morat, près duquel Charles le
Téméraire fut battu en 1476 par les Suisses. "C'est le sang des Bourguignons!" disent encore quelques vieux pêcheurs du lac, quand ils voient rougeoyer ses ondes. C'est simplement une petite herbe, l'ossilaria rubescens des naturalistes, décrite par de Candolle.
La neige est parfois aussi colorée en rouge par une algue microscopique, le protococcus nivalis, véritable poussière végétale dont les fragments se comptent par millions dans l'espace d'un mètre carré !