Les chercheurs ont testé une hypothèse allant à l'encontre des idées reçues en donnant davantage de glucose aux vers, au lieu de supposer qu'une réduction calorique n'avait que des effets bénéfiques. D'autres recherches seront nécessaires afin de voir si ces résultats seront obtenus aussi chez l'être humain. (Photo: iStockphoto)
Les vers qui consomment du sucre ont une progéniture plus résistante au stress environnemental. C'est ce que démontre une recherche d'Arnaud Tauffenberger et Alex Parker, respectivement étudiant au doctorat et professeur au Département de neurosciences de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.
" À ce jour, le glucose, soit le sucre que le sang véhicule vers les cellules du corps, était considéré comme nocif pour la santé et associé à une hausse des maladies cardiovasculaires et du diabète, rappelle Arnaud Tauffenberger. Une consommation quotidienne d'aliments transformés ou riches en graisses et en sucre multiplie par trois le risque d'être atteint de ces maladies. " " Notre étude met au jour l'effet surprenant du glucose, mentionne le professeur Parker, aussi chercheur au Centre de recherche du CHUM. Elle semble indiquer que l'état du métabolisme d'un parent peut influencer de manière positive la physiologie de sa progéniture. Cet effet protecteur n'avait jamais été mis en lumière en utilisant le glucose comme variable alimentaire. "
Arnaud Tauffenberger, sous la direction du professeur Parker, a mesuré l'incidence du glucose sur la capacité de reproduction et la résistance au stress d'un nématode, un ver nommé C. elegans. " Un grand nombre de gènes humains sont conservés chez ce ver, explique M. Parker. Il constitue un excellent système pour faire des analyses génétiques et étudier les voies métaboliques liées au métabolisme. "
Les résultats de leurs travaux, parus dans le numéro de mai de la revue PLOS Genetics, révèlent qu'une alimentation enrichie en glucose accroît la résistance au stress environnemental. Mais il y a un prix à payer. Même si les vers sont plus résistants au stress, ils vivent moins longtemps. Leur capacité de reproduction est également réduite. En revanche, le sucre influe positivement sur la physiologie de la progéniture.
" Le glucose engendre des modifications épigénétiques, telles la méthylation de la chromatine, qui jouent un rôle prédominant dans l'état du métabolisme de la progéniture ", mentionne M. Tauffenberger. Résultat ? En plus d'avoir une meilleure résistance au stress, les vermisseaux, jamais exposés au glucose, ont une espérance de vie et une capacité de reproduction normales contrairement à leurs parents, qui ont été soumis à un régime riche en glucose.
MM. Tauffenberger et Parker
L'histoire d'une découverte
Plusieurs études épidémiologiques ont montré le rôle que pouvait avoir le sucre sur le développement de maladies. À l'inverse, une restriction calorique, c'est-à-dire une réduction de l'apport en nourriture, améliore l'espérance de vie. Ainsi, les scientifiques ont longtemps supposé que la restriction calorique pourrait également retarder la manifestation de la neurodégénérescence. Alex Parker, qui étudie les troubles neurodégénératifs, tels que la maladie de Lou Gehrig et la chorée de Huntington, a travaillé plusieurs années dans ce sens. " Il y avait peu ou pas d'effets positifs dans nos modèles, déclare-t-il. Dans certains cas, cette approche a même empiré les choses. "
Devant cet échec, le professeur Parker a suggéré à son étudiant, Arnaud Tauffenberger, de faire le contraire. " Au lieu d'assujettir les vers à une restriction calorique, on leur a donné une alimentation riche en glucose ", raconte le jeune chercheur. Bingo! Les généticiens découvrent un rôle jusqu'alors inconnu du sucre: la protection contre certaines formes de neurodégénérescence. Les résultats de cette étude ont fait l'objet d'une publication en 2012 dans la revue américaine Aging Cell.
Poussant plus loin leurs travaux, Alex Parker et Arnaud Tauffenberger ont ensuite étudié la progéniture de ces vers. " À notre grande surprise, on a observé une transmission héréditaire de la résistance au stress par le glucose ", note M. Parker. Pour l'instant, les mécanismes en jeu ne sont pas encore bien compris. " Le phénomène semble dépendre du niveau de méthylation sur un résidu lysine de l'histone 3, une protéine retrouvée dans la chromatine, souligne Arnaud Tauffenberger. D'autres recherches sont nécessaires afin de mieux comprendre les mécanismes génétiques en cause et, surtout, de voir s'ils se trouvent aussi chez l'être humain. "
Outre les retombées positives possibles pour les personnes atteintes d'affections neurodégénératives, la récente découverte des chercheurs soulève des questions importantes, notamment en ce qui a trait au legs génétique des parents, ainsi qu'à certains mécanismes d'évolution.