Des chercheurs de l'Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec une équipe CNRS/Inserm/Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité (située à l'Institut Cochin), ainsi qu'avec le Wellcome Trust (Sanger Institute), viennent de découvrir la cause de l'émergence des infections néonatales à
streptocoque B dans les années 1960. Ces résultats, publiés dans la revue
Nature Communications, le 04 août, apportent la preuve que l'apparition soudaine de ces infections provoquées par cette
bactérie est due à l'usage massif, à partir des années 1950, d'un
antibiotique, la
tétracycline.
Le streptocoque du groupe B (Streptococcus agalactiae) est à l'origine de graves infections néonatales, concernant environ une naissance sur deux mille. Il a pour réservoir principal le tube digestif à partir duquel se fait la colonisation des voies urogénitales. Lors de l'accouchement, la mère peut transmettre la bactérie pathogène au nouveau-né. La
prévention de ces infections repose sur un
dépistage en fin de
grossesse du portage de la bactérie. Si le test est positif, un traitement préventif par antibiotique est administré à la mère pendant l'accouchement.
Dans les années 1960, aux États-Unis et en Europe, une augmentation des infections néonatales dues à streptocoque B a été rapportée dans les registres des maternités. L'absence d'infections à streptocoque B reportées jusqu'alors pouvait résulter d'un sous-diagnostic ou de sous-déclaration de ces infections. Néanmoins, s'il y avait émergence, ses causes étaient inconnues.
Les chercheurs de l'équipe Institut Pasteur/CNRS dirigée par Philippe Glaser en collaboration avec une équipe CNRS/Inserm/Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité (située à l'Institut Cochin), des chercheurs de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), du Wellcome Trust (Sanger Institute) et des microbiologistes d'Europe et d'
Australie, sont parvenus à répondre à cette énigme en retraçant l'histoire évolutive des streptocoques B d'origine humaine. Pour cela, ils ont séquencé et comparé le
génome de 230 souches datant des années 1950 à aujourd'hui, et établi leurs relations évolutives. Ils ont constaté que la population des streptocoques B colonisant et infectant l'homme est constituée d'un petit nombre de clones présentant une très faible
diversité génétique. Cette caractéristique témoigne d'une origine commune récente en accord avec un phénomène d'émergence.
Par ailleurs, de manière remarquable, 90 % des souches de streptocoques B isolées chez l'homme sont résistantes à la tétracycline. L'analyse génomique des clones a permis aux chercheurs d'identifier le support génétique de cette résistance et surtout de montrer que ces clones, identifiés par l'étude évolutive, avaient été sélectionnés pour leur résistance à cet antibiotique. En accord avec cette
observation, ils ont pu dater leur émergence au milieu du 20ème
siècle. Cette époque fait suite à l'usage massif d'un des premiers antibiotiques, administré à titre préventif et curatif contre diverses infections, dans les années 1950: la tétracycline. Sur la base de ces résultats, les chercheurs proposent que l'utilisation de cet antibiotique a entraîné le remplacement global d'une population sensible de streptocoques B, peu dangereux, par quelques clones résistants qui se sont disséminés sur les cinq continents. Ces clones, qui auraient été sélectionnés également pour leurs propriétés de dissémination et de colonisation, sont actuellement responsables des infections observées à partir des années 1960.
Ces résultats élucident les raisons de l'émergence des infections humaines à streptocoque B et démontrent l'impact délétère à long terme de l'utilisation massive et non contrôlée des antibiotiques. En effet, la tétracycline, qui n'a jamais été utilisée pour le traitement des infections à streptocoque B et n'est plus depuis 20 ans que rarement prescrite chez l'homme, a eu un impact irréversible sur cette population bactérienne qui reste une des premières causes d'infections néonatales. A l'heure où la multi-résistance des bactéries est un problème crucial, cette étude souligne la nécessité de prendre en compte pour tout antibiotique prescrit, non seulement le risque direct du développement de la multi-résistance, mais aussi son impact sur les populations bactériennes constituant les flores normales de l'homme et des animaux.