En février, des scientifiques vont poursuivre la numérisation 3D de la grotte des Fraux, l'un des plus beaux sites de l'âge du bronze en Europe. Un scanner dernier cri sera transporté sous terre pour modéliser des vestiges et ornements pariétaux vieux de 3 000 ans.
Grotte des Fraux: vue panoramique de la salle dite du pilier.
Les lampes frontales s'éteignent. Dans le noir absolu, la numérisation peut commencer. Pendant sept minutes, sous le contrôle attentif de Pierre Grussenmeyer, spécialiste en modélisation à l'Institut national de sciences appliquées de Strasbourg, un appareil cyclopéen note l'emplacement exact de quelque 42 millions de points. Nous sommes au cœur de la grotte des Fraux, dans le Périgord Vert. Cette caverne ornée de l'âge du bronze (autour de 1 300 ans avant notre ère) va être entièrement reconstituée en trois dimensions. L'opération, démarrée fin 2008, se poursuivra lors d'une mission organisée début février. Parmi les apprentis spéléologues, Albane Burens, du laboratoire "Archéologie des sociétés méditerranéennes" de Lattes et coresponsable de la fouille avec Laurent Carozza, du laboratoire Géographie de l'environnement. Elle sera accompagnée d'un ingénieur chargé du fonctionnement du scanner et de trois spécialistes en modélisation de l'équipe "Photogrammétrie et géomatique" de l'Insa de Strasbourg.
La mission est importante car ce site exceptionnel menace de s'effondrer. Un risque lié à la singulière histoire de sa découverte.Un matin de 1989, Edmond Goineaud, agriculteur du Périgord, a vu se vider le lac artificiel qu'il avait creusé quelques années plus tôt. La cause ? Une étroite ouverture au fond de la cuvette: le plafond d'une grotte venait de céder, donnant accès à un réseau de galeries souterraines obstrué depuis près de 3 000 ans. Il est à parier que les premiers chanceux ayant foulé ces sols ont eu le sentiment de faire un saut dans le temps. "L'état de conservation de la grotte est exceptionnel, raconte Albane Burens. Un éboulement a bloqué tout échange avec l'extérieur et l'argile des parois sur lesquelles des humains ont dessiné il y a plus de trois millénaires est toujours fraîche. Les céramiques ne sont pas recouvertes de poussière, on a même le sentiment qu'en soufflant sur les foyers, des braises vont rougir de nouveau !" Bien plus récente que ses consœurs de Lascaux et Chauvet, la grotte des Fraux est un témoignage unique de l'âge du bronze en Europe, pour ses œuvres schématiques et abstraites gravées dans les parois mais aussi pour les traces de vie domestiques parfaitement conservées.
Chaque matin, pendant une semaine, l'équipe descendra dans l'atmosphère humide et fraîche de la grotte après avoir enfilé des chaussons en néoprène pour limiter les traces au sol. L'évolution n'y sera pas de tout repos. "Certains passages sont très étroits, or il faut avancer sans toucher les parois au risque d'effacer les dessins aux doigts et autres incisions réalisés par les anciens occupants", avertit la coresponsable de la fouille. Et de reconnaître que "les conditions de travail sont physiquement éprouvantes, mais sous terre les heures défilent comme des minutes et l'ambiance est si sereine qu'elle permet une concentration à toute épreuve".
C'est grâce à un partenariat avec la société Faro, spécialisée dans les systèmes de mesure 3D, que tous les détails de la grotte vont être numérisés. La société fournit la machine, le laser scanner Photon, qui peut reconstituer des objets volumineux au millimètre près. Une précision suffisante pour enregistrer les dessins en relief des parois. La première étape de numérisation d'une galerie consistera à disposer un peu partout des petites sphères qui serviront de points de référence. Une fois installé, l'appareil enregistrera la position d'un nuage de points pendant sept minutes. Il sera ensuite déplacé pour un nouveau relevé. Et ainsi de suite... Les sphères de référence sont indispensables pour relier entre eux les différents nuages de points captés à chaque station du laser scanner.
La modélisation tridimensionnelle permettra aux scientifiques de continuer l'étude de la grotte même si elle s'effondre un jour, "car cette technique permet d'agréger toutes les données sur un même support", résume l'archéologue. Et puisque ce site d'exception ne sera jamais ouvert aux visites, le grand public pourra tout de même presque s'y promener... à travers un écran.