Les bactéries ont la capacité unique de changer les gènes de leur chromosome. Ce pouvoir de transformation génétique semble particulièrement utile, mais alors pourquoi, certaines bactéries semblent l'avoir perdu ? Une étude publiée dans la revue
PNAS montre que des éléments génétiques, appelés plasmides, et qui s'immiscent dans les génomes des bactéries leur interdisent alors de se transformer génétiquement. Ils pourraient être si fréquents que certaines espèces de bactéries paraitraient incapables de transformation naturelle.
© Xavier Charpentier CC 4.0.
Figure: Conservation de la transformation naturelle chez des bactéries légionelles. Chaque cercle (ou secteur) représente un isolat clinique de légionelle, coloré en fonction de sa capacité à réaliser la transformation. Les bactéries en jaune sont incapables de réaliser la transformation alors que celles en bleu de plus en plus foncé montrent des niveaux croissants de transformation. Il apparaît que la moitié des isolats de légionelles sont ainsi incapables de transformation (jaunes). Les isolats cliniques sont reliés en fonction de leur degré de parenté (phylogenetic relationship, cgMLST), et il est à noter que la transformation paraît variable (En mathématiques et en logique, une variable est représentée par un symbole. Elle...) même pour des isolats très proches (par exemple dans le "camembert" central). Environ un tiers des bactéries en jaune sont porteuses du plasmide (Un plasmide désigne en microbiologie ou en biologie moléculaire une molécule d'ADN...) pLPL et qui est responsable de leur incapacité à transformer.
Les bactéries ont la capacité de changer les gènes de leur chromosome. Elles peuvent en effet capter l'ADN libéré par d'autres bactéries présentes dans leur
environnement (L'environnement est tout ce qui nous entoure. C'est l'ensemble des éléments naturels et...) proche, et l'intégrer à leur chromosome. Ce mécanisme appelé transformation naturelle, découvert chez la
bactérie (Les bactéries (Bacteria) sont des organismes vivants unicellulaires procaryotes, caractérisées...) pneumocoque en 1929, participe au
phénomène de transfert (Un phénomène de transfert (ou phénomène de transport) est un...) "
horizontal (Horizontal est une orientation parallèle à l'horizon, et perpendiculaire à la...)" de gènes entre bactéries. Transmettre des gènes paraît évidemment avantageux, et est souvent présenté comme responsable de la dissémination de la résistance aux antibiotiques, un problème majeur de
santé publique (La santé publique peut être définie de diverses manières. On peut en effet la...). La transformation naturelle, est reconnue chez un nombre croissant de bactéries. La plupart des bactéries possèdent en effet les gènes leur permettant de réaliser cette transformation
génétique (La génétique (du grec genno γεννώ = donner naissance) est...). Cependant, certaines espèces en apparaissent incapables. De plus, au sein d'une même espèce, certaines bactéries semblent avoir perdu cette capacité. Pourquoi ?
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont exploité une collection d'isolats cliniques de légionelles (
Legionella pneumophila), assemblée par le Centre national de référence des légionelles (CNRL) dans le cadre de sa mission de surveillance épidémiologique. Les légionelles peuvent en effet causer la
légionellose (La légionellose est une maladie infectieuse due à une bactérie d'origine hydrique de...), une
pneumonie (Une pneumopathie est une pathologie du tissu pulmonaire. Étymologiquement, il s'agit d'une...) sévère dont la
fréquence (En physique, la fréquence désigne en général la mesure du nombre de fois qu'un...) augmente ces dernières années. Le CNRL a ainsi fourni des ressources précieuses pour étudier la conservation de la transformation naturelle.
Les auteurs ont découvert que la capacité de transformation naturelle était variable, et en particulier très différente dans des légionelles parfois très proches. Ils ont alors réalisé une étude d'association à l'échelle du génome (GWAS) pour rechercher les facteurs génétiques responsables. Ce type d'étude GWAS, une des premières au monde sur des organismes bactériens, a ainsi permis d'identifier un élément génétique mobile commun chez les bactéries appelé plasmide. Ces plasmides sont capables de se transférer d'une cellule bactérienne à une autre. Le plasmide identifié utilise alors un ARN non-codant pour "éteindre" les gènes dont sa bactérie hôte a besoin pour réaliser la transformation naturelle. De tels facteurs inhibiteurs sont présents chez d'autres plasmides de Légionelles et qui sont libres dans le
cytoplasme (Le cytoplasme désigne le contenu d'une cellule vivante. Plus exactement, il s'agit de la...) ou intégrés au chromosome. Dans certaines espèces de légionelles (
Legionella israelensis et
Legionella geestiana), ils semblent si fréquents que ces espèces paraissent incapables de transformation naturelle. Ainsi, ces plasmides expliquent pourquoi certaines bactéries semblent avoir perdu la capacité de transformation naturelle. Mais leur présence chez des espèces actuellement considérées comme incapable de transformation naturelle suggérerait aussi justement l'inverse.
Pour en savoir plus:
Diverse conjugative elements silence natural transformation in [i]Legionella species.[/i]
Durieux I, Ginevra C, Attaiech L, Picq K, Juan PA, Jarraud S, Charpentier X.
Proc Natl Acad Sci U S A. 2019 Sep 10;116(37):18613-18618.
doi: 10.1073/pnas.1909374116.
Epub 2019 Aug 27.
Contact chercheur:
Xavier Charpentier - Chercheur Inserm au Centre national de recherche en infectiologie (CIRI) - CNRS / Inserm /
Université (Une université est un établissement d'enseignement supérieur dont l'objectif est la...) Claude Bernard (Claude Bernard, né le 12 juillet 1813 à Saint-Julien (Rhône) et mort le...) / ENS Lyon
xavier.charpentier at inserm.fr