L'agresseur qui surgit de nulle part et auquel il est impossible d'échapper, voilà un scénario vraisemblable de cauchemar, selon le chercheur Antonio Zadra. (Photo: iStockphoto)
Un homme cagoulé entre dans le wagon de métro et vous immobilise. Les passagers descendent à la station suivante, vous laissant seul avec l'agresseur. Il vous emmène dans un sous-sol et se penche vers vous avec un instrument indéfini. Une arme? Va-t-il vous tuer?
C'est à ce moment que vous vous réveillez. Ouf, ce n'était qu'un mauvais rêve. Plutôt un cauchemar, précisons-le, puisqu'il a conduit le dormeur au réveil. " Les agressions physiques sont les thèmes les plus souvent rapportés dans les cauchemars. Les mauvais rêves, quant à eux, sont surtout hantés par des conflits interpersonnels ", écrivent les chercheurs en psychologie de l'Université de Montréal Geneviève Robert et Antonio Zadra dans une récente édition de Sleep. Pour analyser 253 cauchemars et 431 mauvais rêves, il leur a fallu obtenir le récit de près de 10 000 rêves. Leurs conclusions? Les cauchemars ont une portée affective plus grande que les mauvais rêves et la peur n'est pas toujours au rendez-vous, puisqu'elle est absente de la plupart des scénarios de mauvais rêves et du tiers des cauchemars. On ressent plutôt de la tristesse, de la confusion, de la culpabilité, du dégoût...
" La mort ou la menace sont des thèmes très courants dans les cauchemars, signale Mme Robert, première signataire de l'article constituant une partie de sa thèse de doctorat soutenue en juin 2013. Mais il ne faut pas croire qu'ils les caractérisent tous. Parfois, c'est une impression de menace ou une ambiance dramatique qui provoquent le réveil. Je pense à un récit où une personne apercevait un hibou sur une branche. Cela lui causait une frayeur extrême. "
Geneviève Robert
Pourquoi rêve-t-on? Quelle est la fonction des cauchemars? Voilà des questions encore sans réponse, résume le professeur Zadra, qui se consacre aux troubles du sommeil depuis 20 ans (il est notamment un spécialiste du somnambulisme). Une hypothèse veut que le rêve serve de catharsis aux vicissitudes du quotidien; une autre que ce soit un dérèglement du système nerveux. Quoi qu'il en soit, la communauté scientifique admet de façon générale que la plupart des êtres humains rêvent, le plus souvent durant une phase du sommeil appelée sommeil paradoxal. Une phase que le commun des mortels traverse de trois à cinq fois par nuit. La plupart des dormeurs oublient aussitôt le contenu de leurs songes; les grands rêveurs s'en souviennent plus facilement. De cinq à six pour cent de la population déclare faire des cauchemars.
Ça se soigne
" Le cauchemar n'est pas une maladie en soi, mais peut être un problème pour l'individu qui l'anticipe. Les personnes qui ont des cauchemars fréquents peuvent craindre l'endormissement, qui va les replonger dans leurs pires rêves. Certains se continuent d'une nuit à l'autre. La personne qui est réveillée par son cauchemar ne veut plus retrouver le sommeil, créant ainsi une insomnie artificielle ", précise M. Zadra.
L'origine du cauchemar récurrent peut être un évènement traumatisant. Des soldats de retour du front revoient parfois, dans leurs rêves, des scènes qui les ont marqués. La consommation ou le sevrage d'alcool ou de psychotropes peuvent aussi expliquer la fréquence ou l'intensité des cauchemars. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux classe les cauchemars dans la catégorie des "parasomnies habituellement associées au sommeil paradoxal".
La bonne nouvelle, c'est que des traitements peuvent venir à bout des cauchemars. Par des techniques de visualisation, la personne apprend à modifier le scénario d'un ou de plusieurs de ses cauchemars et à répéter le nouveau scénario à l'aide d'une technique d'imagerie mentale. Cela peut être par un geste salvateur - l'avatar décide d'affronter l'agresseur - ou par le recours à des moyens surnaturels - Superman arrive à la rescousse... Pourquoi pas? On est en plein milieu d'un rêve!
Le classeur de rêves
Antonio Zadra
L'un des buts de la recherche de Mme Robert et M. Zadra, financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, était de mieux comprendre la différence entre mauvais rêves et cauchemars. Ceux-ci apparaissent en continuité avec les rêves " ordinaires ", comme s'il y avait une gradation dans l'échelle dramatique des uns aux autres.
Pour cette première étude comparative à grande envergure sur le sujet, les chercheurs ont demandé à 572 répondants de rédiger un journal des rêves pendant deux à cinq semaines plutôt que de simplement cocher des choix de thèmes sur un questionnaire, une méthode plus rapide mais moins valide. Certains de ces journaux, déposés dans un immense " classeur de rêves " au Département de psychologie de l'UdeM, sont très étoffés.
En voici un exemple : " Je suis dans un garde-robe. Il y a une bande de tissu blanc qui m'oblige à m'accroupir. À la place des vêtements sont accrochés des toutous en peluche très gros et de formes agressives tels que des chats et des chiens grimaçants, dont on voit les crocs, avec des yeux exorbités. Ils sont suspendus et oscillent vers moi. Je me sens prise au piège et j'ai très peur. "
Tous les récits ne sont pas aussi détaillés, souligne Mme Robert en tirant du classeur quelques fichiers. Même si certains récits font plus d'une page de texte (la moyenne est de 144 mots), il y en a des plus laconiques; certains tiennent sur deux lignes. Il faut dire que les participants devaient rédiger leur description aussitôt que possible après le réveil, ce qui donne des textes relevant presque de l'écriture automatique. On imagine le travail de l'équipe de recherche qui a transcrit ces milliers de récits avant de les répertorier et de les analyser.
Que reste-t-il à comprendre des rêves? " Presque tout ", laisse tomber Antonio Zadra. On peut mieux affirmer grâce à cette recherche que rêves, mauvais rêves et cauchemars procèdent du même processus affectif et neurocognitif. Comment et lequel? Cela reste encore à définir.
À quoi rêve-t-on?
" Être pourchassé " est un thème évoqué dans 7,6 % des mauvais rêves et cauchemars, selon l'étude qui sera publiée le 1er février dans la revue Sleep par les chercheurs de l'Université de Montréal. Ce sont les agressions physiques qui reviennent le plus souvent, comptant pour près du tiers (31,5 %) des récits. Cela inclut les agressions sexuelles, les séquestrations et les enlèvements. Viennent ensuite (29,5 %) les conflits interpersonnels : hostilité, opposition, insultes, humiliation, rejet, infidélité, mensonge, etc.
L'échec ou l'impuissance sont des sentiments mentionnés dans 17 % des mauvais rêves et cauchemars. Suivent, dans l'ordre, les préoccupations sur la santé et la mort (12 %) et l'appréhension et l'inquiétude (11 %).
La présence diabolique est également rapportée dans 7 % des cas : on voit ou on sent la présence du diable ou d'une force maléfique.
Les accidents, les désastres et calamités, les invasions d'insectes ou de vermine sont d'autres catégories énoncées.
Différences hommes-femmes
Les hommes rêvent plus souvent aux désastres et calamités et aux invasions d'insectes et de vermine que les femmes. Celles-ci ont tendance à mettre en scène des conflits interpersonnels plutôt que des agressions physiques.