Les diverses cabrioles des chevreaux exercent leurs habiletés motrices, ce qui réduirait le risque de prédation qui pèse sur eux.
Dans l'inhospitalière toundra alpine des Rocheuses canadiennes, les conditions environnementales et les prédateurs exercent une influence considérable sur la survie des chevreaux pendant leur première année de vie. Considérable, mais pas aussi grande que les soins maternels et le développement physique et locomoteur des jeunes, révèle une étude menée par Rachel Théoret-Gosselin, Sandra Hamel et Steeve Côté, du Département de biologie et du Centre d'études nordiques. Fait étonnant, l'une des variables qui contribuent au développement locomoteur des chevreaux - la fréquence des comportements de jeu - est le principal facteur de survie des jeunes pendant leurs premiers mois de vie, démontrent les chercheurs dans l'article qu'ils publient dans Oecologia.
Le troupeau étudié par les trois chercheurs fréquente le piémont des Rocheuses, dans la région de Caw Ridge en Alberta. Pour échapper aux loups, aux grizzlis et aux couguars qui rôdent dans les parages, les chèvres et leurs petits se réfugient sur des falaises abruptes et sur des pentes escarpées où ces prédateurs se déplacent avec moins d'aisance. Ce milieu hostile n'est pas de tout repos pour les jeunes: le taux de mortalité pendant la première année est de 38%.
Les chercheurs ont utilisé des données récoltées sur ce troupeau entre 1995 et 2010 pour évaluer l'importance de différents facteurs sur la survie des chevreaux. Leurs analyses montrent que le poids du jeune, son développement locomoteur et les soins qu'il reçoit de sa mère pèsent plus lourd dans l'équation que les conditions environnementales (abondance de nourriture, épaisseur de neige, risque de prédation) ou que les caractéristiques de la mère (âge, rang social, condition physique).
Personne ne s'étonnera que les efforts investis par une mère dans l'alimentation et la protection de son petit aient une incidence sur la survie de ce dernier. L'importance des comportements de jeu est plus déroutante toutefois. "Chez la chèvre de montagne, ces comportements sont particulièrement fréquents, souligne Steeve Côté. Les jeunes s'y adonnent seuls ou en groupe, ils courent, font des sprints, s'arrêtent brusquement, bondissent dans les airs, se bousculent et montent sur le dos des autres chèvres. On croit qu'ils améliorent ainsi leur agilité et leurs habiletés motrices, ce qui réduirait le risque de prédation."
Il faut beaucoup d'efforts pour quantifier sur une longue période les comportements des mères et des petits, souligne le professeur Côté. "C'est sans doute pourquoi la plupart des recherches négligent ces variables. Notre étude démontre la forte contribution de ces comportements sur la survie des jeunes et l'importance de les mesurer pour avoir un portrait juste de la situation."