Vol AF447: comprendre la note du BEA, les nouvelles pistes

Publié par jyb le 29/05/2011 à 17:09
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1 - Introduction

Le BEA a révélé vendredi des informations sur le contenu des boites noires du vol Air France AF447. La note publiée fait suite à la divulgation de plusieurs rumeurs qui ont été diffusées dans la presse et qui mettent à la fois les familles de victimes dans des situations délicates et les enquêteurs sous pression. Le BEA a d'ailleurs tenu à indiquer qu'il n'a reçu aucune pression, que ce soit des autorités, d'Airbus, d'Air France mais que c'est la presse qui par la diffusion de rumeurs entrave de plus en plus la bonne marche de l'enquête.


L'enregistreur de paramètres, Flight Data Recorder (FDR), a été remonté le 1er mai 2011 - Illustration: BEA.

Les éléments fournis par le BEA apportent nombre d'informations nouvelles que nous allons détailler et apporte de nouvelles pistes et questions. Nous avons analysé le rapport et nous vous donnons ici ce qu'il est possible d'en conclure. Inutile de vous dire que nous ne prétendons aucunement avoir trouvé les causes du crash du vol AF 447, mais juste de vous apporter les éclairages nécessaires à la bonne compréhension du rapport du BEA.

2 - Rappel du vol et déroulement avant le début des anomalies

Organisation de l'équipage

L'équipage est composé de trois personnes qui se relaient:
- le commandant de bord
- deux copilotes

L'avion n'a besoin que de deux personnes pour être piloté, mais sur les vols de longue durée comme les vols transatlantiques, il faut du personnel supplémentaire afin que personne ne dépasse les durées maximales de pilotage. Les avions effectuant ce type de parcours sont équipés d'une cabine de repos pour le personnel avec notamment de vrais lits.

Le commandant de bord est présent dans le poste de pilotage (le cockpit) lors des phases de décollage, de montée, d'approche et d'atterrissage. L'un des copilotes participe au décollage et au vol de croisière, le second copilote participe au vol de croisière et à l'atterrissage. Avec une telle répartition des tâches, il y a en permanence deux pilotes dans le cockpit et la phase où l'appareil est entre les mains des deux copilotes est la phase la plus paisible: le vol de croisière. Il est à noter que les copilotes, bien que généralement moins expérimentés qu'un commandant de bord, ont reçu en théorie la même formation de base de pilotage et de certification de vol et sont à même d'affronter les mêmes situations que le commandant de bord. Lors du début des événements, le commandant de bord était en repos.

Gestion du risque de perturbation météo



Illustration: Techno-science.net

L'équipage est parfaitement au courant du risque d'orage et fait le point sur les options possibles afin de les éviter:
- monter en altitude
- dévier de la route pour les éviter

La montée en altitude est exclue à cause d'une température atmosphérique trop chaude et donc une atmosphère moins dense: le risque de décrochage y est plus élevé. Cela ne veut pas dire qu'il fait "chaud" dans le sens commun du terme, on reste sur des températures de plusieurs dizaines de degrés en dessous de 0°C.

Le niveau de vol est donc FL 350 avec une vitesse de Mach 0,82. En clair, l'avion volait à une altitude de 10 675 m (35 000 pieds) et une vitesse légèrement supérieure à 900 km/h.

Avant l'incident, les deux pilotes restés dans le cockpit voient un nuage d'orage placé sur leur route et décident de dévier de leur trajectoire avec un angle de 12 °C avant de revenir sur la route initialement prévue. Conscients qu'ils auront tout de même à faire à des turbulences assez importantes, ils réduisent légèrement la vitesse à Mach 0,80, ce qui représente une baisse de 40 à 45 km/h environ. Le but étant de réduire l'impact des turbulences sur l'avion.

3 - Premier incident: l'avion entre dans une zone de perturbations

Résumé de la note du BEA

Ce premier incident se produit à 2h 10 et 5 secondes:
- chute de la mesure de vitesse côté gauche à un niveau ridiculement bas
- perte de la vitesse de l'instrument de secours ( l'ISIS )
- l'avion part en roulis vers la droite
- débranchement du pilote automatique
- débranchement de l'auto-manette
- déclenchement de l'alarme de décrochage à deux reprises

Le pilote navigant (PF pour Pilot Flying, celui qui tient les commandes) tire la manette vers la gauche et vers l'arrière. Le BEA souligne que seule la vitesse côté gauche est enregistrée dans la boite noire.



Illustration: Techno-science.net

Comment comprendre ?

Même si cela n'est pas précisé noir sur blanc, la cause la plus probable de ces événements est que l'avion est bel et bien entré dans une zone à la météo dégradée avec:

Pour les sondes de Pitot:
- soit des cristaux de glace qui obstruent l'un des orifices d'au moins certaines des sondes de Pitot situées côté gauche (le plus probable)
- soit une vitesse verticale trop forte du fait des turbulences qui perturbe l'entrée de l'air dans les orifices horizontaux des sondes

Pour les autres éléments:
- cela ne concerne pas les prises d'air relatives à la mesure de l'altitude, les altimètres semblent bien fonctionner
- le déclenchement de l'alarme de décrochage n'est ni dû au problème de sonde de Pitot, ni dû à un vrai décrochage, mais probablement à un vent vertical suffisamment violent pour que l'incidence de l'écoulement d'air sur les ailes soit perturbé
- le tangage est probablement lié aux turbulences
- la perte du pilote automatique et de l'auto-manette (pilote automatique sur les manettes de gaz) sont des réactions normales des systèmes de l'avion qui redonnent la main à l'humain lorsqu'ils ne sont pas en mesure de gérer la situation
- aucune autre alarme et surtout aucune alarme intempestive liée à la vitesse ne semble s'enclencher.

Tout laisse à penser que le pilote naviguant a bien compris qu'il n'est pas en décrochage et fait des actions à la fois pour corriger la trajectoire de l'avion et débuter la manœuvre prévue en cas de perte d'information de vitesse. La check-list prévue consiste à orienter l'assiette de 5° vers le haut et à pousser les manettes de gaz. Pour le moment (on est juste quelques secondes après le début des événements), le pilote naviguant semble occupé à corriger les mouvements de l'avion.

4 - 02:10:16: l'avion monte et perd de la vitesse

Résumé de la note du BEA

Onze secondes après le début du premier incident, l'autre pilote (dont le rôle est d'observer les autres évènements non directement liés au pilotage) annonce "On a perdu la vitesse" puis "alternate law [...]" .

A ce niveau, l'avion continue de rendre le contrôle aux pilotes. La vitesse ne peut plus être mesurée, les systèmes passent en alternate law : l'ordinateur n'exerce plus de contrôle sur les commandes, en cas de dépassement de l'enveloppe de vol, des alarmes retentiront.



Illustration: Techno-science.net

A ce moment, l'assiette de l'avion augmente et dépasse les 10°, la trajectoire devient fortement ascendante avec une montée à 7000 pieds / minute soit une vitesse verticale ascendante de 128 km/h alors même que l'appareil se trouve déjà à une haute altitude. Le pilote pousse ensuite sur le mini-manche, ce qui réduit l'assiette, la vitesse ascensionnelle passe alors à 700 pieds / minute, soit 12,8 km/h.

A ce moment là, l'indicateur de vitesse côté gauche se remet à donner une vitesse plus élevée que lors de sa grosse réduction et indique Mach 0,68, soit environ 750 km/h. L'airbus n'en a pas fini des turbulences puisque le roulis varie alors de 12 degrés à droite à 10 degrés à gauche. L'avion est à une altitude de 37500 pieds, soit un peu plus de 11400 m.



Illustration: Techno-science.net

Comment comprendre ?

Malgré la situation délicate, les pilotes semblent avoir la maitrise de leur avion. Cependant, ils vont nettement au delà de la procédure prévue en cas de perte de vitesse et font une montée très rapide à un niveau de vol non prévu au départ. Surtout, en prenant autant d'altitude, l'avion a perdu en vitesse.

A ce moment justement, on retrouve une information de vitesse crédible côté gauche, la note du BEA n'indique pas quel crédit les pilotes accordent à ces informations. La vitesse est relativement faible à une telle altitude où les avions volent généralement aux environs de Mach 0,80 – Mach 0,85.

Pourquoi les pilotes ont-ils décidé de monter si rapidement aussi haut ? On ne peut faire que des hypothèses:
- pensant avoir perdu de l'altitude (ce qui n'est pas le cas en réalité) et ne faisant pas confiance à l'altimètre, le pilote décide de retrouver son altitude de départ
- ils appliquent avec trop de zèle la check list de perte de l'indication de vitesse
- n'ayant pas pu éviter autant qu'ils le souhaitaient les perturbations en déviant de leur route, ils décident d'aller à une altitude plus élevée afin de trouver des conditions plus calmes.
- voyant sur leur radar les conditions se dégrader encore plus devant eux, ils cherchent à passer "au dessus"

En tout cas, à 2h 10 mn et 50 secondes, alors que des mouvements de tangage persistent, les pilotes décident d'appeler le commandant de bord.

5 - 02:10:51 - 02:11:07: nouvelle alerte de décrochage

Résumé de la note du BEA à 2h 10mn 51s

L'alarme de décrochage retentit une nouvelle fois. Les pilotes poussent les manettes de gaz à fond mais maintiennent un ordre de cabrer à l'avion (c'est à dire continuent à orienter l'avion vers le haut). Les plans horizontaux réglables passent de 3 à 13 degrés en position de cabrer (il s'agit de plans normalement faits pour compenser le centrage de l'avion).

Comment comprendre ?

A ce moment de vol, le BEA ne précise pas si l'avion a toujours une tendance à faire des roulis (tendance qui s'expliquerait par des turbulences), mais cela est probable. Les pilotes ont à nouveau des informations de vitesse fiables (bien que nous ne savons pas ce qu'il est advenu de l'indicateur de vitesse de droite car non enregistrée sur la boite noire). Il est ici délicat de savoir à quoi est due l'alarme de décrochage, l'avion ne baisse pas d'altitude, au contraire. Il est possible que ce soit lié aux turbulences et notamment à un mouvement d'air vertical qui modifie brutalement l'incidence de l'air sur l'avion.

Résumé de la note du BEA à 2h 11mn 07s: retour de l'information de vitesse, l'avion ralentit

La vitesse de l'ISIS revient et indique une vitesse de 185 nœuds, soit environ 350 km/h, l'altitude atteint quant à elle 38000 pieds, soit 11 600 m, l'assiette de l'avion est alors de 16° vers le haut. Le BEA note que la durée de l'incohérence de vitesse n'a pas dépassée une minute. L'alerte de décrochage continue de sonner.



Illustration: Techno-science.net

Comment comprendre ?

Cet épisode de 15 secondes environ semble être un point clé du vol: retour à la normale pour les indicateurs de vitesse, les sondes de Pitot fonctionnent à nouveau normalement. La vitesse est dangereusement basse, mais l'avion a réussi à augmenter son altitude.

Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer le déclenchement de l'alarme. L'altitude continue de monter, montrant que l'avion n'est pas complètement en décrochage. Par contre, sa vitesse se réduit très dangereusement et le fait que l'avion soit de plus en plus cabré n'arrange pas sa situation. Avec un angle de 16°, l'avion a un angle de cabré digne d'un avion au décollage, bien au delà de ce que peuvent indiquer des procédures. L'avion est donc à cet instant dans une position dangereuse.

Il est difficile de voir à quels instruments les pilotes font alors confiances et s'ils prennent en considération la vitesse, toujours est-il que les manettes de gaz sont alors poussées à fond. Il y a à ce niveau plusieurs interprétations possibles:
- Les pilotes pensent à de nouvelles turbulences et cherchent à atteindre un niveau de vol plus élevé en mettant de côté l'indicateur de vitesse qu'ils peuvent juger non fiable
- Ils pensent que la situation n'est pas si grave et qu'il suffit de pousser les gaz pour redonner une vitesse suffisante malgré l'angle de cabré
- Ils suivent une procédure de la compagnie qui leur indique de faire ces actions: il n'est pas sûr que de telles procédures indiquent d'aller jusqu'à un tel niveau de cabré.

Les décisions des pilotes sur cet épisode du vol seront certainement l'un des principaux points du rapport final dans la mesure où c'est là que l'avion passe dans une vraie situation de décrochage.

6 - 02:11:40: le commandant dans le cockpit, l'avion chute

Résumé de la note du BEA

A ce moment, l'avion repasse les 35 000 pieds, soit 10675 m. L'assiette de l'avion est à 15°, mais l'incidence de l'air (l'angle fait pas l'air sur l'avion) est de 40°. La vitesse mesurée passe sous 60 nœuds, les moteurs tournent pourtant à plein régime. La vitesse verticale est de -10 000 pieds / minute, soit une descente à 183 km/h. L'alarme de décrochage s'arrête. Les roulis sont plus violents et atteignent parfois 40°.



Illustration: Techno-science.net

Comment comprendre ?

A priori, certaines informations peuvent apparaître contradictoires, mais ce n'est pas le cas. On note tout d'abord que l'avion n'a pas perdu tant d'altitude que ça depuis la seconde 07 que nous venons de voir, le début de la descente se fait progressivement. Cependant, du fait de l'angle de cabré de l'avion (le fait que le nez soit toujours orienté vers le haut), cette descente est de plus en plus rapide. Au moment de passer les 35 000 pieds, l'avion est véritablement en train de chuter, malgré cela, les pilotes maintiennent un angle de cabré important.

On remarque une nouvelle perte de l'indication de vitesse, cela arrive lorsque la vitesse mesurée passe sous les 60 puis sous les 30 nœuds (soit respectivement 110 et 55 km/h).
- Si on regarde la vitesse verticale et l'angle d'incidence, on en déduit que la vitesse de l'avion est probablement plus élevée (environ 200 km/h).
- La baisse de vitesse n'est pas nécessairement due à des cristaux de glace, mais plus probablement à l'incidence du flux d'air. Le courant de l'air étant complètement en biais, il entre plus difficilement dans les orifices des tubes de Pitot qui ne peuvent alors plus mesurer correctement la vitesse.

La conséquence d'une telle baisse de vitesse: l'incidence n'est plus prise en compte, ce qui entraine un arrêt de l'alarme de décrochage.

Il est à noter que durant une telle chute, les pilotes ne sont pas en état "apesanteur" et ne ressentent pas le fait que l'avion n'est plus vraiment porté par les ailes, seul l'altimètre et la mesure de la vitesse ascensionnelle permet de le voir. Il est aussi à noter que l'avion est sérieusement secoué par des mouvements de roulis importants qui accaparent une partie de l'attention.

7 - 02:12:17: poursuite de la chute, tentative de correction ?

Résumé de la note du BEA

2h 12mn et 2 secondes

Les pilotes annoncent tour à tour "je n'ai plus aucune indication" et "on n'a aucune indication qui soit valable". Les manettes de gaz sont en position IDLE: c'est le point minimum, mais les moteurs fournissent encore 55% de leur poussée maximale.

2h 12mn et 17 secondes

L'un des pilotes pousse le mini-manche ce qui réduit l'incidence de l'avion. Les indications de vitesse repassent au-dessus de 60 nœuds (110 km/h), l'alarme de décrochage se réenclenche.



Illustration: Techno-science.net

Comment comprendre ?

En cas de décrochage, les constructeurs recommandent en effet de réduire la poussée moteur et de baisser le nez de l'avion afin de retrouver une incidence normale avant de stabiliser et de reprendre une altitude usuelle. C'est vraisemblablement ce qu'il y a de mieux à faire dans une telle situation.

Le souci est que l'avion était dans une telle situation que même l'alerte de décrochage avait cessé de sonner. Un début de retour à la normale passe donc par un retour à la situation où cette alerte se déclenche à nouveau. Ce n'est qu'ensuite, en continuant à faire baisser le nez de l'avion que l'incidence redevient correcte tout comme la vitesse, ce qui permet de reprendre le contrôle du vol. Ce n'est manifestement pas ce qui s'est passé par la suite.

Quant aux paroles des pilotes, il est délicat de se prononcer, les boites noires ont enregistré des données tout à fait correctes à l'exception de la vitesse et parfois de l'incidence, mais ce dernier paramètre n'est pas affiché aux pilotes. Hormis l'indicateur de vitesse, les autres instruments fonctionnaient.

Par contre, la coupure de l'alarme de décrochage couplé à un altimètre qui s'affole a pu mener à des confusions au sujet de ces instruments sachant que la vitesse est elle-même invalide à ce moment là.

8 - La dernière minute du vol

Résumé de la note du BEA

Jusqu'à 2 h 13 min 32 secondes

Le rapport ne dit pas ce qui se passe durant la minute qui suit mais précise que les actions des pilotes sont majoritairement de tirer le mini-manche et de faire cabrer l'avion durant cette phase de vol, pas d'information sur d'éventuels changements de poussée moteur.

2 h 13 min 32 secondes

Le pilote indique "on va arriver au niveau cent". Ce qui correspond au passage des 10 000 pieds, l'avion est alors à 3050 m d'altitude et a donc perdu plus des deux tiers de son niveau de vol normal. Le pilote qui tient les commandes (PF) les repasse à son collègue (PNF) qui continue les mêmes actions à savoir de maintenir un angle de cabré fort.

Jusqu'à 1h 14 minutes et 28 secondes

L'incidence reste supérieure à 35°, l'avion continue à être orienté en cabré et continue sa chute. Au moment de l'impact, voici les données de l'avion:
- vitesse verticale de -10912 pieds / minutes (soit 200 km/h en descente)
- vitesse horizontale de 107 nœuds (soit 197 km/h)
- assiette de 16,2° à cabrer
- léger roulis de 5,3 degrés à gauche
- cap magnétique de 270 degrés (correspondant à un demi-tour)



Illustration: Techno-science.net

Comment comprendre ?

Concernant le cap magnétique, sa valeur correspond à un quasi-demi-tour. Mais rien n'indique qu'il s'agit d'un cap choisi par les pilotes mais probablement le résultat des turbulences et des actions des pilotes pour reprendre le contrôle du vol. L'un des pilotes annonce le passage du niveau 100 ( 3050 m d'altitude), signe qu'ils prennent alors en considération l'altimètre.

Après au moins une tentative de reprendre le contrôle en poussant le manche en piqué, les pilotes semblent reprendre leurs actions de tirer le mini-manche et à maintenir une position en cabré qui n'arrange en rien la situation de l'avion et le maintient en situation de décrochage. Durant toute cette phase, ils continuent à lutter contre les mouvements de roulis qui sont d'autant plus prononcés que l'avion ne vole plus vraiment, sa vitesse verticale est même légèrement supérieure à la vitesse horizontale au moment de l'impact.

9 - Récapitulatif des évènements, éléments de reflexion

Généralités

De manière générale, on note:
- seul l'indicateur de vitesse semble avoir été perturbé
- il n'y a pas eu une multitude d'alarmes dans le cockpit, seulement l'alerte de décrochage
- les autres indicateurs (altitude, cap, horizon artificiel) ont fonctionné normalement
- les turbulences sont violentes et obligent les pilotes à se concentrer dessus pour éviter que l'avion ne parte en roulis, il s'agit certainement d'un élément très perturbateur pour la prise de décision

Phases de vol

Les derniers instants du vol de l'Airbus peuvent être séparés en trois parties:
- une phase où l'avion prend de l'altitude
- une phase de transition
- la phase de chute



Illustration: Techno-science.net

Sur la première phase, il semble que l'avion traverse une zone météo dégradée avec des turbulences prononcées et une perte de l'indicateur de vitesse. Cependant, les pilotes amènent l'avion à monter très fortement à un niveau de vol non prévu au début et au détriment de la vitesse. Une question qui se pose est pourquoi prennent-ils une telle décision ?
- atteindre une altitude où ils supposent que la météo est plus calme
- suivi trop zélé d'une procédure de perte de l'indicateur de vitesse
- suivi trop zélé d'une procédure de décrochage (bien que l'alerte soit peut être déclenchée par un vent vertical)

Ensuite vient un retour des paramètres de vitesses qui indiquent clairement que l'avion vole lentement à une altitude plus élevée. Une alarme de décrochage retentit, les pilotes poussent les moteurs et cabrent à nouveau l'avion:
- les pilotes accordent-ils une importance aux mesures de vitesse ?
- se contentent-ils d'appliquer une procédure de la compagnie aérienne prévue pour les débuts de décrochage ?

En dernière phase, où l'avion amorce une chute "à plat" qui devient vertigineuse:
- l'entrée progressive dans cette chute fait qu'elle n'est pas ressentie par les pilotes
- les indicateurs de vitesse se coupent à nouveau
- l'alarme de décrochage se coupe
- les turbulences persistent

Il est délicat de savoir si les pilotes avaient alors confiance en leur altimètre, des paroles prononcées à un moment laissent suggérer que non. Par contre, l'un d'eux entreprend une manœuvre de sortie de décrochage mais qui a comme effet paradoxal d'entrainer une remise en route de l'alarme de décrochage:
- cet épisode a-t-il donné l'impression que l'altimètre était faux ?
- a t-il donné l'impression que la procédure du constructeur était finalement moins bonne que celle de la compagnie ?

Dans tous les cas, les pilotes semblent décider de reprendre leur action à cabrer, mais la note ne permet pas de dire à quel point et pour quelle raison. Les occupants du cockpit ont certainement eu des échanges qui ne font pas partie de la note du BEA.

Sortir d'un décrochage

Pour finir, faisons un point sur les procédures de sortie de décrochage. Les constructeurs aériens préconisent de tout faire pour que l'incidence de l'air redevienne normale. Cela implique de pousser le manche ou le mini manche afin de faire baisser le nez de l'avion. Afin de faciliter la manœuvre, les compagnies conseillent même de réduire la poussée. En amorçant une telle descente, l'écoulement de l'air sur les ailes redevient normal et l'avion finit par reprendre la vitesse nécessaire. Ensuite, le pilote peut reprendre l'altitude choisie.

Les compagnies ont souvent tendance à s'intéresser au début du décrochage. C'est une phase où l'écoulement d'air se fait plus difficilement sur les ailes mais sans être en décrochage complet. L'alarme de décrochage commence à sonner des cette phase. Dans ce cas, certaines procédures de compagnies aériennes prévoient au contraire une mise en poussée maximale de l'avion et de maintenir coute que coute l'altitude. Cette technique permet une sortie rapide du décrochage et surtout ne modifie pas la trajectoire de l'avion. Mais ce n'est pas efficace lorsque le décrochage devient complet.

10 - Conclusion et nouvelles pistes

Les sondes de Pitot, qui ont été mises en avant dans la presse, n'ont pas forcément joué un rôle aussi grand que supposé au début. Par contre, leur panne de départ ajoutée à d'autres éléments rendant des informations "étonnantes" ont pu contribuer à rendre la situation moins compréhensible pour les pilotes.

Les pilotes ont aussi été perturbés par les turbulences qui les forçaient à faire en permanence des actions pour contrebalancer les mouvements de roulis.

La grande nouveauté qu'apporte la note du BEA est la persistance des pilotes à maintenir l'avion cabré. Cette action a maintenu l'appareil dans une situation de décrochage et à prolongé sa chute jusqu'à l'impact.

Reste à savoir pourquoi avoir entrepris de telles actions ? Là encore, nous ne pouvons faire que des hypothèses qui restent à vérifier:
- au début, les pilotes ont pu ne pas s'apercevoir qu'ils étaient en chute, mais ce n'était plus le cas au moins à partir de 2h 13 minutes et 32 secondes, lorsque l'avion passe sous les 3000 m
- application d'une procédure non adaptée au cas d'un décrochage prolongé (lié à la formation des pilotes et des procédures enseignées par la compagnie)
- erreur dans l'application des procédures (mais il est à priori étonnant qu'aucun des trois membres d'équipages présents ne l'ait remarqué)
- l'inversion contre-intuitive de la réaction de l'alarme de décrochage lorsque l'un des pilotes met l'avion en position moins cabrée a pu renforcer la conviction des pilotes sur l'action à faire
- les turbulences et la tension ont pu provoquer un stress très important et certainement perturber les pilotes dans leurs décisions, tout comme le doute sur le bon fonctionnement des instruments.

Comme déjà énoncé, le BEA n'a pas communiqué l'ensemble du contenu des boites noires. Les enquêteurs ont donc en main d'autres éléments, mais surtout, là où nous nous contentons d'expliquer la note et d'énoncer certaines hypothèses ou pistes, le BEA devra démontrer ses conclusions. Il s'agit d'un travail de longue haleine qui reste à accomplir.
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