Le 11 juillet 1996, un article publié dans le quotidien anglais The Guardian révèle que George Orwell a livré en 1949 une liste de noms de journalistes et d'intellectuels «cryptocommunistes», «compagnons de routes» ou «sympathisants» de l'Union soviétique à un fonctionnaire de l'Information Research Department (une section du ministère des Affaires étrangères britannique liée aux services de renseignements), Celia Kirwan. La réalité de cette collaboration est prouvée par un document déclassifié la veille par le Public Record Office.
L'information est relayée en France principalement par les quotidiens Le Monde (12 et 13 juillet 1996) et Libération (15 juillet 1996). Le public français apprend ainsi que l'auteur de 1984 «dénonçait au Foreign Office les "cryptocommunistes"» (Le Monde, 13 juillet 1996). Dans son numéro d'octobre 1996, le magazine L'Histoire va plus loin encore, expliquant qu'Orwell aurait «spontanément participé à la chasse aux sorcières» organisée contre les intellectuels communistes par le Foreign Office.
Ces articles français oublient de mentionner plusieurs informations essentielles. D'abord, Kirwan, belle-sœur de l'écrivain Arthur Kœstler, était une amie intime d'Orwell, dont elle avait repoussé la demande en mariage en 1945, alors que l'écrivain était veuf depuis quelques mois. Ensuite, la remise des informations a eu lieu à l'occasion d'une visite de Kirwan à Orwell, peu avant la mort de ce dernier, qui était déjà dans un sanatorium. Kirwan lui confie alors qu'elle travaille pour un service gouvernemental chargé de recruter des écrivains et des intellectuels susceptibles de produire de la propagande antisoviétique. Orwell, après lui avoir donné les noms de quelques personnes de sa connaissance lui paraissant aptes à être recrutées, propose de lui indiquer, à titre privé, les noms d'autres personnes qu'il est inutile d'approcher, en raison de leurs convictions politiques (lesquelles sont souvent de notoriété publique).
La fameuse liste, déclassifiée en 2003, mais déjà mentionnée dans la biographie de Bernard Crick parue en 1980; celui-ci en ayant tout simplement consulté la copie disponible dans les Archives Orwell; confirme ce qui précède.
Bernard Crick, biographe d'Orwell, signale que «quelques-uns (des individus), recensés comme ayant simplement des opinions "proches", semblent sélectionnés pour des raisons tirées par les cheveux et peu pertinentes.» Simon Leys répond à cela que la liste établie pour Kirwan n'est pas établie uniquement en fonction de critères politiques, mais signale également des individus dont il est inapproprié de solliciter la collaboration en raison de leur «malhonnêteté» ou de leur «stupidité».
John Newsinger, dans sa biographie politique d'Orwell, a rappelé que l'auteur a à plusieurs reprises manifesté, à la fin des années 1940, son hostilité à toute tentative d'instaurer un « maccarthysme anglais». Il indique aussi que, « lorsque l'IRD a été créé par le gouvernement travailliste, son but affiché est de mener des activités de propagande en faveur d'une troisième voie entre le communisme soviétique et le capitalisme américain. Il n'est absolument pas évident à l'époque qu'il s'agissait d'une arme des services secrets britanniques »..
Pour terminer, il faut indiquer que 1949 est l'une des années les plus terribles de la guerre froide. Staline est vieillissant et sa paranoïa ne cesse de s'aggraver; l'URSS a mis au point l'arme atomique et termine son processus de satellisation des pays d'Europe de l'est; la guerre de Corée est sur le point de débuter; et l'Angleterre grouille littéralement d'espions du NKVD (notamment les fameux cinq de Cambridge).
Orwell, lui, très loin des sympathies soviétiques d'une partie de l'intelligentsia occidentale, a pu voir pendant la guerre civile espagnole le stalinisme au pouvoir à Barcelone, lors de l'élimination des anarchistes qui contrôlaient la ville.
Le détail de cette affaire se retrouve dans le pamphlet Orwell devant ses calomniateurs, publié en 1997 par L'Encyclopédie des nuisances aux éditions Ivrea. De manière plus succincte, Simon Leys aborde la question dans la réédition de son essai Orwell ou l'horreur de la politique (2006).
Aldous Huxley, le futur auteur du Meilleur des mondes, enseigna brièvement le français à Eton (en remplacement d'un professeur titulaire parti à la guerre), où parmi ses élèves figurait le futur auteur de 1984. Apparemment, Orwell appréciait Huxley, qui leur apprenait « des mots rares et étranges, de manière assez concertée », se souvient Steven Runciman (ami et condisciple d'Orwell à cette époque), qui ajoute qu'il était « un professeur d'une totale incompétence. Il n'arrivait pas à faire respecter la discipline et était tellement myope qu'il ne voyait pas ce qui se passait, si bien qu'il était constamment chahuté », ce qui énervait passablement Orwell « qui trouvait que c'était cruel ».
Runciman conclut pourtant que les cours dispensés par Aldous Huxley ne furent pas inutiles aux jeunes gens : « Le goût des mots, de leur usage précis et signifiant nous resta. En cela, nous avons une grande dette envers lui».