La sociologie des grandes écoles est une des branches de la sociologie, et plus particulièrement de la sociologie de l'éducation, qui étudie les grandes écoles.
La principale recherche sociologique sur les grandes écoles françaises a été réalisée par Pierre Bourdieu et des membres de son équipe, au cours des années 1970 et 80. L’essentiel des résultats de cette recherche est présenté dans un livre co-signé avec Monique de Saint-Martin et intitulé La noblesse d’État. Grandes écoles et esprit de corps (1989).
Selon Bourdieu, l’une des fonctions sociales essentielles du système éducatif dans son ensemble est d’assurer la reproduction de l’ordre social et des inégalités qui le fondent. Dans ce cadre, les grandes écoles ont pour fonction particulière de produire une “noblesse d’État”, que le sociologue présente comme “l’héritière structurale” de la noblesse d’Ancien Régime. En d'autres termes, Bourdieu soutient que ces grandes écoles contribuent activement à reproduire des hiérarchies sociales qui ne sont pas sans rappeler celles que la Révolution française était censée avoir abolies (on notera d'ailleurs que La noblesse d'État est publié l'année du bicentenaire de cette révolution).
Certes, les grands dirigeants politiques et économiques d’aujourd’hui n’occupent pas leurs postes en vertu du sang qui coule dans leurs veines, mais grâce à des titres scolaires bien souvent acquis au sein de ces grandes écoles. En outre, ces titres ne sont pas achetés ou reçus en héritage. Ils supposeraient de la part de leurs bénéficiaires du travail et, pour les plus prestigieux d’entre eux, un minimum de “dons” pour la chose scolaire. Bref, a priori, il semblerait que les titulaires de ces diplômes de grandes écoles, qui ouvrent sur les carrières les plus “nobles”, ne devraient apparemment leur succès qu’à leurs qualités personnelles.
Or, l’analyse de l’origine sociale des élèves recrutés par ces institutions d’enseignement révèle que les enfants issus des “classes supérieures” de la société y sont très nettement surreprésentés. À partir de ce constat, Bourdieu tente de montrer que le mode de recrutement de ces grandes écoles - classes préparatoires et concours d’entrée - est tout simplement ajusté aux dispositions sociales typiques des membres de ces “classes supérieures”. Autrement dit, le concours d’entrée à ces Grandes écoles, présenté comme parfaitement égalitaire dans son principe, est en réalité une épreuve profondément inégalitaire, qui valorise des savoir et des savoir-faire qui sont prioritairement ceux de la bourgeoisie (bourgeoisie d'affaire à HEC ; bourgeoisie intellectuelle à l'École normale supérieure, par exemple).
Selon Bourdieu, la force de ce dispositif de reproduction de l’ordre social tient au fait que l’ensemble de ceux qui y prennent part sont intimement persuadés que la réussite scolaire, et en particulier la réussite aux concours des grandes écoles, est affaire d’intelligence personnelle et de dons intellectuels. Cette conviction partagée est ce qui masque aux yeux de tous, et en particulier des “victimes” de l’institution, les fonctions objectives que remplit le système éducatif. Bourdieu parle à ce propos d’une “idéologie du don” sur laquelle la légitimité sociale de ce processus de sélection des élites repose tout entière.