Auguste Scheurer-Kestner, né à Mulhouse (Haut-Rhin) le 13 février 1833 et mort à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne) le 19 septembre 1899, est un chimiste, un industriel, un protestant et un homme politique alsacien. Il était l’oncle par alliance de l'épouse de Jules Ferry.
Républicain, opposant à l'Empire de Napoléon III, il fut élu député du Haut-Rhin le 2 juillet 1871 et devint sénateur inamovible de la Seine le 15 septembre 1875. Vingt ans après, il était le dernier représentant de l'Alsace française au Parlement.
Ami très proche de Georges Clemenceau et Gambetta, il fournit à ce dernier une partie des fonds nécessaires à la publication de La République française, journal qu’il dirigea de 1879 à 1884. En 1894, Auguste Scheurer-Kestner, premier vice-président du Sénat, était considéré comme une autorité morale en politique.
Le 13 juillet 1897, Louis Leblois, l'avocat du lieutenant-colonel Picquart, l'informe en détail de l'affaire Dreyfus.
Au départ, il ne douta pas de la culpabilité de Dreyfus, mais, écrivit-il dans son journal, le procès « avait laissé dans [son] esprit quelque chose de vague et de douloureux ». Après l’intervention de Bernard Lazare, qui tenta de vaincre ses hésitations en 1897, cet homme « passionnément épris de justice » (Mathieu Dreyfus) et qui se considérait comme le protecteur de tous les Alsaciens de France, multiplia les entretiens pour tenter de se faire une opinion sûre.
Auguste Scheurer-Kestner va désormais défendre l'innocence du capitaine, auprès du ministre de la guerre, Billot ou auprès du président de la République, Félix Faure.
Le 26 novembre 1897, par l'intermédiaire de son avocat Me Jullemier, Madame de Boulancy, cousine et ancienne maîtresse d'Esterházy, qui a décidé de se venger de son amant et débiteur, fait parvenir à Scheurer-Kestner les lettres de l'officier, dont la fameuse « lettre du uhlan ». Scheurer-Kestner montre la lettre au général de Pellieux, commandant militaire de la place de Paris, chargé de l'enquête administrative sur Esterházy. Une perquisition chez Madame de Boulancy a lieu dès le 27, le Figaro publie la lettre le 28, éclairant l'opinion sur les sentiments qu'Esterházy porte à la France et à son armée.
Auguste Scheurer-Kestner se persuada de la culpabilité d’Esterházy après les confidences de maître Louis Leblois, ami de Picquart, alsacien lui aussi. Scheurer-Kestner communiqua confidentiellement ses certitudes au président de la République Félix Faure, au président du Conseil puis rendit une visite tout aussi vaine au général Billot, ministre de la Guerre. Prenant en main la cause de la révision, il contacta Joseph Reinach, entraîna Clemenceau, puis, en novembre 1897, publia dans Le Temps une lettre ouverte où il affirmait l’innocence de Dreyfus. En compagnie de maître Leblois, il exposa l’affaire à Émile Zola, qui prit sa défense dans le Figaro quelques jours plus tard. Scheurer-Kestner n’avait en effet reçu aucun appui de ses amis politiques. Le débat ayant été rendu public par Mathieu Dreyfus, il fut violemment attaqué, traité d’« industriel allemand », de « boche », etc. En décembre 1897, il interpella le Sénat sur le refus de révision du procès, déclarant : « la vérité finit toujours par triompher ».
Mais Auguste Scheurer-Kestner ne parvint pas à convaincre ses collègues du Sénat de mener avec lui le combat de la réhabilitation du capitaine : le 13 janvier 1898, il n'obtint que 80 voix sur 229 votants lorsqu'il se représenta à la vice-présidence.
Auguste Scheurer-Kestner incarna les espoirs dans la légalité et la justice du gouvernement de la République, et recommanda toujours la patience et la prudence, désapprouvant notamment le coup d’éclat de Zola. Rongé par un cancer de la gorge, il suivit la révision du procès de sa chambre de malade. Il mourut le 19 septembre 1899, le jour même de la signature de la grâce de Dreyfus par le Président Loubet.