Science-fiction |
La SF à l’écran |
autre-A-B-C-D-E-F-G |
H-I-J-K-L-M |
N-O-P-Q-R-S-T |
U-V-W-X-Y-Z |
Le monde de la SF |
Auteurs - BD de SF |
Fandom - Prix littéraires |
Thèmes et genres |
Catégorie |
Cristal qui songe (titre original : (en) The Dreaming Jewels) est un roman de science-fiction de l'écrivain américain Theodore Sturgeon paru initialement en 1950 dans le magazine américain Fantastic Adventures.
Theodore Sturgeon aborde ici le thème de la différence sous les aspects de la difformité physique et des conséquences possibles de capacités psychiques surhumaines, une thématique proche de celle qu'il développera dans son roman intitulé Les plus qu'humains. Plus généralement, la différence et ses conséquences sont toujours au cœur de ses œuvres.
En situant son récit dans le monde du cirque forain, peuplé de monstruosités et d'anomalies de la nature - que les Américains appellent freaks -, Theodore Sturgeon travaille sur l'opposition violente d'archétypes littéraires très marqués et passablement monolithiques, aussi bien sur le plan physique que sur le plan psychologique. Ganneval est un dangereux misanthrope, Bluett un manipulateur parfaitement sadique, Zena une mère-protectrice prête au plus grand sacrifice, Kay une ingénue fragile et introvertie, etc. Une fois établie, cette caractérisation psychologique ne subit plus aucune altération au cours du récit et confère aux personnages un profil relativement figé. Cette absence d'évolution psychologique des personnages contribue à déplacer tout l'intérêt littéraire de l'œuvre vers le fonctionnement interne de cette micro-société particulière que la troupe de cirque représente.
Dans l'inventaire des extra-terrestres de la science-fiction traditionnelle, Theodore Sturgeon fait preuve d'une grande originalité en inventant un peuple de cristaux vivants. En utilisant la technique de la focalisation interne, l'auteur préserve le secret de ces êtres étranges et ne livre au lecteur que le résultat des recherches de l'un de ses personnages, Ganneval. Le fonctionnement social, le mode de communication et de reproduction des cristaux demeurent énigmatiques, mais contribuent à créer l'impression littéraire d'une altérité radicale, d'un mode d'être totalement étranger à l'humanité.
Horty, doté de capacités sur-humaines, pouvant se régénérer ou se transformer par la seule force de son psychisme (mais en respectant l'impératif de la conservation de la masse), est aussi présenté comme un être immature et fragile. Comme le souligne explicitement Theodore Sturgeon, Horty n'est pas soumis au principe fondamental de l'existence humaine : la nécessité de survivre. Or cette dure nécessité est l'un des principaux stimuli de l'intelligence, développe les facultés d'adaptation au monde et conditionne le désir de résoudre les problèmes. Horty est certes doté d'une exceptionnelle mémoire "eïdétique", comme le dit Sturgeon, mais il manque cruellement d'initiative et ne contextualise pas sa pensée, accumule des connaissances acquises dans les livres, mais ne sait pas les utiliser. Son ultime confrontation avec Pierre Ganneval l'hypnotiseur le contraindra à prendre finalement en compte cet impératif de survie qui conduit les êtres humains à mobiliser toutes leurs ressources physiques et mentales. Mais la plus belle manière de survivre, c'est de vivre avec l'autre, dans l'empathie, l'amitié et l'amour, ce que beaucoup des personnages du roman découvriront au cours de leurs péripéties.
Si l'art joue un rôle secondaire tout au long du récit, son importance thématique est essentielle. Le récit lui-même est présenté à la fin du roman comme étant digne d'être une œuvre d'art : « C'est une histoire étonnante et vraiment une œuvre d'art... ». Theodore Sturgeon pose la question de la possibilité du bonheur individuel dans un monde de difformité et de laideur, un monde qui ne répond à aucun des critères esthétiques d'une société en quête d'apparences. En faisant découvrir à son personnage principal, Horty, certaines œuvres-d'art contemporaines, l'auteur présente les valeurs esthétiques qui ont rendu obsolète toute notion traditionnelle du beau. Horty découvre les nouvelles approches picturales de Mondrian, qui abandonne le mode figuratif, les œuvres de Markell aux « silhouettes irrégulières et soigneusement disproportionnées ». Dans le domaine de la musique, c'est la valeur esthétique centrale de la dissonnance qui est mise en avant, avec les œuvres musicales de Béla Bartók, d'Arthur Honegger ou de Dmitri Chostakovitch. Theodore Sturgeon imagine un monde nouveau, où la différence, la disproportion et la dissonance trouveraient enfin leur place, une société désormais bâtie sur des valeurs nouvelles empruntées à l'art contemporain.