La démorésilience, ou immunité des populations, est un concept apparu en 1994. Elle représente pour le corps social une « immuno-compétence collective », issue de la fédération de la réponse immunitaire de chaque corps individuel. La démorésilience ignore le solipsisme, ne peut écarter l’expérience de l’autre, elle s’inspire de la notion de « herd immunity », ou « community immunity ». Ainsi un groupe résilient comprend-il une majorité d’individus porteurs d’une protection corporelle (résilients vrais) et une minorité de non immunisés (mais bénéficiant de la présence des résilients vrais : les « maltôtiers »). Le rapport entre sujets résilients et non résilients permet d’évaluer la démorésilience : plus une population comporte des individus au « corps matériel » résilient, meilleure est sa démorésilience. Il s’agit d’un phénomène dont l’aspect biologique est associé à un volet culturel, celui des procédés selon lesquels les hommes gèrent les agressions microbiennes. Par exemple, la vaccination, en augmentant dans un groupe le nombre de sujets résilients, empêche la diffusion de l’agent pathogène.
Espérer empêcher toutes les épidémies n’est qu’utopie. Il est néanmoins possible de limiter leurs extensions, atténuer leurs effets néfastes et parfois les prévenir.
Il est des hommes d’expérience, de raison et de sagesse, dont les pensées pourraient servir de guides pour éviter le chaos.
Parmi eux, René Dubos est le microbiologiste qui découvrit le premier antibiotique et prit conscience des problèmes environnementaux générés par les activités humaines. Il exprima le principe fondamental de sa réflexion par l’aphorisme : « penser globalement, agir localement ». L’homme, pour Dubos, doit se prendre en charge de façon positive, avoir une approche écologique de sa façon de vivre, car l’espoir de la genèse d’une panacée médicale réglant toute pathologie est du domaine de l’utopie.
Le second de ces sages, Paul Farmer, résuma sa pensée lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, en déclarant : « la plupart des formes de violence, dont les épidémies, sont profondément enracinées dans des structures sociales inéquitables génératrices de pauvreté et d’injustices sociales ».
La pensée de Farmer s’approche des vues de Jean Ziegler, universitaire suisse concerné par les problèmes de santé des populations. Lors de sa leçon d’adieu à l’université de Genève, Ziegler rappelait que plus de 800 millions de personnes dans le monde sont gravement sous-alimentées, soulignant le rôle de la pauvreté et de la malnutrition dans l’apparition de maladies infectieuses et potentiellement d’épidémies.
Pour Jared Diamond, auteur de « Guns, germs and steel. The fates of human societies », la biologie et l’histoire expliquent la domination de l’Eurasie. Selon lui, les différences dans l’évolution des technologies (et donc des soins) sont dues à l’environnement et non aux hommes et il n’existe pas une culpabilité immanente des peuples qui souffrent le plus des microbes.
Aux précédents sages, on peut encore associer le philosophe Hans Jonas, qui publia en 1979 Le Principe responsabilité, où il rappelait les responsabilités de chacun vis-à-vis de l’environnement naturel et le risque que l'héritage laissé aux générations futures soit la somme des dégâts causés aujourd'hui. Jonas a insisté sur les risques technologiques, car aujourd’hui « Homo faber est au-dessus d’homo sapiens ».
De la pensée de Jonas, nous pouvons rapprocher celle de l'historien et sociologue Jacques Ellul, qui, lui aussi, fut fidèle à l’adage « penser globalement, agir localement ». Il fut un critique de la technique, dans laquelle il voyait, sans la rejeter, des dangers potentiels, et il contesta l’idée reçue selon laquelle la technique est, ipso facto, un progrès et qu’elle est au service de la science. Pour lui, « La technique est devenue autonome […], elle forme un monde dévorant qui obéit à ses propres lois, reniant toute tradition » ; le triomphe de la technique, c’est l’homme sans humanité.