Jacques Ellul | |
Naissance | 6 janvier 1912 Bordeaux |
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Décès | 19 mai 1994 (à 82 ans) Pessac |
Nationalité | France |
Profession(s) | historien, théologien et sociologue |
Jacques Ellul (1912 - 1994) est un professeur d'histoire du droit, théologien protestant et sociologue français.
Il est, aux côtés de Habermas, Heidegger, Simondon, Leroi-Gourhan et Günther Anders, l'un des principaux penseurs au XXe siècle de la technique. Il a également été très largement cité par le critique social américain Neil Postman, notamment dans son livre Technopoly.
Après ses études de droit, en 1936, il présente sa thèse de doctorat en droit intitulée Étude sur l’évolution et la nature juridique du Mancipium. Il est ensuite chargé de cours à la faculté de Droit de Montpellier, puis de Strasbourg et de Clermont-Ferrand, avant d'être révoqué en 1940 en tant que fils d'étrangers. Il réussit le concours d’agrégation de droit romain et d’histoire du droit en 1943. De 1944 à 1980, date de son départ à la retraite, il enseigne à l'université de Bordeaux et à Sciences Po Bordeaux (IEP) : notamment l’histoire des institutions et l’histoire sociale à la Faculté de Droit. Il fut le premier lauréat du Prix européen de l'Essai Charles Veillon (créé à Lausanne en 1975) pour son livre "Trahison de l'Occident".
Après une révélation à 18 ans qui le mettra sur la voie du christianisme, et une lecture poussée de Karl Marx à 19 ans, Jacques Ellul fait des études de droit. Ses premiers engagements se situent dans la mouvance personnaliste des non-conformistes des années 30, en animant à Bordeaux, avec son ami Bernard Charbonneau, un groupe en liaison avec la revue Esprit et le groupe Ordre nouveau.
C'est la face la plus connue de sa pensée grâce à Aldous Huxley qui découvre et fait connaître La technique, ou L'enjeu du siècle publié aux États-Unis sous le titre The Technological Society.
Il entreprend, avec Bernard Charbonneau, un travail de recherche et de réflexion sur l'évolution de la société moderne, en constatant que la disparition du monde rural traditionnel s'accompagne d'une technicisation et d'une normalisation croissantes de l'homme comme de son milieu. Toute sa vie intellectuelle et ses engagements seront consacrés à analyser méthodiquement les multiples conséquences de cette « grande mue » en anticipant nombre des interrogations de la réflexion écologiste.
Tout au long de plusieurs ouvrages, il a mené une étude critique de ce qu'il appelle « le système technicien » (titre d'un livre paru en 1977) – la technique étant d'après lui le facteur déterminant de la société moderne – notamment dans une trilogie sur la technique, dans laquelle il développe sa thèse, exemples à l'appui et en suivant l'évolution du phénomène technique. Thèse selon laquelle la technique s'auto-accroît, imposant ses valeurs d'efficacité et de progrès technique, niant l'homme, ses besoins, sa culture, ainsi que la nature. Bruno Latour écrit en 2000 : « les techniques appartiennent au règne des moyens et la morale au règne des fins, même si, comme Jacques Ellul en a témoigné il y a bien longtemps, certaines techniques finissent par envahir tout l'horizon des fins en se donnant à elles-mêmes leurs propres lois, en devenant "auto-nomes" et non plus seulement automatiques ».
Aux États-Unis, Theodore Kaczynski a déclaré que la lecture de ce livre a clarifié ses idées jusque-là confuses et instinctives.
Parallèlement à ses travaux novateurs sur la description et l'analyse du « système technicien », Ellul a mené un travail sur le phénomène de la propagande dans les sociétés modernes avec notamment son maître livre sur la question intitulé Propagandes (1962, traduit aux États-Unis en 1965) qualifié d'« ouvrage pionnier » par l'historien Christian Delporte. Ses travaux servent toujours de base à l'étude de ce phénomène complexe et multiforme. Il analyse en particulier la distinction entre une « propagande politique » peu ou prou perceptible à des degrés divers dans tous les régimes institutionnalisés et une « propagande sociologique », phénomène contemporain du développement au XXe siècle des société de masse dans lesquelles l'individu est placé au cœur d'un jeu d'influences à la fois citoyennes (démocratie ou régime totalitaire) et sociétales (mode de vie, idéologie).
La sociologie n'est pas le seul domaine de Jacques Ellul et son œuvre est partagée entre les travaux qu'il a menés en tant que théologien, historien et sociologue. Depuis 1945, il a écrit plusieurs articles dans le journal protestant Réforme, qui lui a consacré un hors série en 2004.
Militant anarchiste, intéressé par la pensée situationniste, il avait proposé à Guy Debord une collaboration, mais ce dernier refusa, considérant le christianisme d'Ellul comme rédhibitoire. Commentateur de la pensée et des dérives marxistes, il a contribué à la mise en place de l'écologisme politique. Il a livré également ses réflexions sur l'anarchisme chrétien. On lui doit de nombreux travaux théologiques sur les aspects subversifs et libérateurs de l'Évangile, sur la « perversion » que la révélation chrétienne aurait subie, ainsi qu'une interprétation de l’Apocalypse et une réflexion sur l'éthique et l'espoir.
On peut le considérer, avec son ami Ivan Illich comme un des pères de l'idée d'après-développement, de décroissance raisonnée et de simplicité volontaire, ou, plus simplement, de l'écologie politique.
Jacques Ellul a également exposé avec virulence ce qu'il tient pour une incompatibilité entre le judéo-christianisme et l'islam : selon lui, ce dernier réclamerait tous les droits pour lui-même quand il est minoritaire et les refuserait aux autres quand il est ou devient majoritaire.
Dans des écrits polémiques nourris de ses présupposés favorables à Israël, selon son biographe Frédéric Rognon qui parle d'absence de recul critique d'Ellul à ce sujet, il dénonce les intellectuels qui établissent une parenté entre le judéo-christianisme et l'islam arguant que l'unicité de Dieu est battue en brèche dès qu'on pose la question de sa nature, et relevant une différence de nature dans la filiation Abrahamique des trois religions dites « du Livre » dont, précisément, les textes ne sont pas de nature équivalente. Ellul considère l'islam comme un danger pour l'Occident, une « menace guerrière permanente contre [celui-ci] ». Dans le même temps, il parle d'une « invasion pacifique de l'Europe » qui – par exemple en France – accueille celui qui va « l'égorger » et « l'anéantir ». En 1988, il prédit en outre que, vingt-cinq-ans plus tard, l'Europe sera dans une situation comparable à celle de l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid, accusant même les musulmans de fomenter une nouvelle Shoah. Ces positions radicales reposent, selon certains chercheurs, sur des connaissances parcellaires et approximatives de l'islam.