Burt Rutan est un ingénieur de génie à qui on doit nombre d'avions d'exception. Nous avons tous en tête les exploits du SpaceShipOne, le premier engin privé à avoir transporté un homme dans l'espace. Cette fois-ci, avec Steve Fossett et Richard Branson, il s'est attaqué à un nouvel exploit: faire voler un avionautour du monde, sans escale et en moins de 80 heures.
Ce type d'exploit n'est pas vraiment une nouveauté pour Burt Rutan étant donné sa précédente conception du Voyager. Cet avion avait alors réalisé un tour du monde sans escale, mais en plus de 9 jours !
Le Global Flyer
Nous allons, à travers le record du Global Flyer, présenter les coulisses techniques qui entourent bon nombre de réalisations de Scaled Composites, la société de Burt Rutan.
2 - Les précédents records, les précédents avions, les participants
Qu'est ce qu'un tour du monde ?
La notion de tour du monde est moins naturelle qu'elle n'y parait. Au sens strict, pour faire un tour du monde, il faudrait poursuivre son chemin en ligne droite sans jamais s'écarter de sa route, pour revenir au point de départ. Comme cela n'est pas toujours possible, une norme d'homologation internationale existe.
Pour qu'un tour du monde puisse être homologué, il est nécessaire de remplir les conditions suivantes:
- traverser chacun des méridiens terrestres.
- la distance parcourue doit être au moins égale à la longueur d'un tropique, soit 36 787,559 km.
- les points d'arrivée et de départ doivent être les mêmes.
Les précédents records
Concevoir un avion capable de faire le tour du monde sans escale et sans ravitaillement n'est pas quelque chose d'inconnu à l'ingénieur Burt Rutan. Avec son frère, Dick, il avait conçu dans les années 80 le Voyager, un bimoteur à hélices capable de faire le tour du monde sans escale. Déjà, le Voyager était conçu à partir de trois éléments de fuselage et d'une voilure très fine rappelant celle des planeurs. Mais contrairement au Global Flyer, il s'agissait d'un biplace et les moteurs étaient disposés à l'avant et à l'arrière de la structure centrale.
La fabrication et la mise au point de l'avion fut extrêmement longue (2 ans et 22 000 heures de travail). Le voyager fit son premier vol le 22 juin 1984 mais dut attendre 1 an et 6 mois avant de pouvoir faire sa tentative de tour du monde.
Lors de son tour du monde, il était piloté par Dick Rutan (le frère de Burt) et Jeanna Jeager. Surchargé en carburant, il décolla laborieusement le 14 décembre 1986. Le Voyager fit son atterrissage au même endroit, 9 jours et 3 minutes plus tard, avec seulement 48 kg de carburant à bord, mais après avoir parcouru 40 211 km. C'est ainsi que le Voyager et son concepteur entrèrent dans l'histoire de l'aviation en établissant pour la première fois un tour du monde en avion sans escale et sans ravitaillement.
Les plus longues distances franchissables
Avant le tour du monde du voyager, le record de la plus grande distance franchissable était détenu par un B52 de l'US AirForce. Le bombardier stratégique avait alors parcouru 23 210 km sans escale. A l'époque, les B52 étaient l'épine dorsale de la force de dissuasion des Etats-Unis. Leur grande distance franchissable mettait les principaux sites stratégiques de l'URSS sous la menace du feunucléaire. A pleine charge, le B52 dispose d'une autonomie de 16 000 km, devancé depuis par l'aile volante furtive B2 qui peut parcourir 18 000 km sans se ravitailler.
Au cours de la guerre froide, les records de distances franchissables
étaient détenus par les avions militaires. Ici un B52
Plus proche de nous et dans le domaine de l'aviation commerciale, l'Airbus A340 fit sensation lors du salon du Bourget 1993. Ce fut le premier avion de ligne à faire le tour du monde en ne faisant qu'une seule escale. Symboliquement, Airbus démontra alors que son dernier-né pouvait assurer de nouvelles liaisons directes. Actuellement, ce sont les A340-500 (16 500 km) et les B777-200 LR (17 400 km) les recordmen de la distance franchissable dans le domaine de l'aviation commerciale.
Scaled Composites et les autres avions de Burt Rutan
Que ce soit dans le domaine des avions d'exception ou des avions commerciaux, Burt Rutan s'est fait un nom comme étant l'un des plus talentueux ingénieurs que l'aéronautique ait connu.
Burt Rutan est aussi le créateur de la société Scaled Composites. Cette entreprise est spécialisée dans la mise au point de procédés nouveaux dans l'aéronautique, dans la conception et la fabrication de prototypes. Selon les cas, les prototypes réalisés ont deux rôles: valider des technologies ou préfigurer des modèles de série. Dans ce dernier cas, certains avionneurs confient des études de projet à Scaled. Voici quelques uns des nombreux modèles réalisés au sein de Scaled...
Le M309 est un avion d'affaires monomoteur. Bien que l'appareil entre dans une catégorie classique, on voit nettement le dessin original de Rutan au niveau de la partie arrière.
Le Proteus est un avion expérimental conçu pour étudier les vols à haute altitude. Sa principale originalité tient à sa double voilure positionnée horizontalement. Les ailes arrières sont ainsi sous la traînée des ailes de devant.
Le Boomerang est certainement l'un des avions les plus fous qui puisse exister. Non, ce n'est pas la peine de chercher le troisième moteur, il n'y en a pas. L'avion est bel et bien volontairement asymétrique en masse et en aérodynamisme. Sa tenue de vol est naturellement assurée par un différentiel de puissance entre les deux moteurs. Contrairement aux apparences, il n'est absolument pas nécessaire de corriger la trajectoire, que ce soit manuellement ou par le biais d'une béquille électronique !
Les Vantage et Vjet sont des petits biréacteurs aux lignes classiques en comparaison des autres productions de Scaled Composites. Leur but est de vérifier la faisabilité de petits avions à réaction en vue de remplacer à terme les turbopropulseurs dans le segment des avions d'affaires "bas de gamme".
Le Starship est un avion d'affaires à hélice produit en série par Beechcraft. Il s'agit là d'un aboutissement d'études menées sur plusieurs prototypes au cours des années 80. La principale originalité de cet appareil repose sur une voilure en canard et des moteurs à hélice inversée.
Le plus impressionnant appareil créé par Burt Rutan doit être le SpaceShipOne, le premier engin spatial entièrement financé sur des fonds privés. Avec cet engin, Scaled a gagné le concours Ansari X-Prize en septembre 2004 en réussissant à le faire voler par deux fois au delà des 100 km d'altitude. Il a par la même occasion battu le précédent record du célèbre X-15 des années 60. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter notre dossier sur le prix Ansari X-Prize: lien
Les objectifs du vol du Global Flyer
Pour Burt Rutan, il s'agit de démontrer le haut niveau technologique qui a été développé au sein de son entreprise, Scaled Composites. Bien évidemment, le Global Flyer sert aussi de banc de tests pour nombre d'innovations.
Pour Steve Fossett, ce record est bien évidemment l'occasion de compléter son CV personnel au combien déjà prestigieux. C'est aussi une manière de lui donner une nouvelle dimension puisqu'il s'agit de son premier record en tant que pilote d'avion.
Pour Richard Branson, le parrainage de ce vol permet d'augmenter le prestige de sa compagnie aérienne haut de gamme Virgin Atlantic. Cela renforce notamment l'orientation avant-gardiste qu'il veut donner à son Groupe depuis sa décision de créer Virgin Galactic et d'exploiter des versions améliorées du SpaceShipOne de Scaled Composites, la firme de Burt Rutan.
3 - Un exploit technique
Un exploit technique
L'appareil utilisé a spécialement été conçu par Burt Rutan et fabriqué par Scaled Composites. Il repose sur un concept novateur: celui d'un planeur à réaction. Bien évidemment, l'aérodynamisme et la légèreté ont été particulièrement étudiés.
L'une des premières ébauches de Rutan
Les matériaux utilisés
Les matériaux reprennent en partie ceux utilisés pour construire les appareils du premier vol spatial privé: le White Knight et le SpaceShipOne. Le squelette de l'avion est ainsi construit en carbone époxyde. Les ailes sont constituées de fibres de carbone parmi les plus résistantes alors que la couverture du fuselage et de la voilure fait appel à des structures en nid d'abeille. Au résultat, l'appareil a un poids digne d'une confortable berline et peut transporter plus de 5 fois son propre poids en carburant.
L'aérodynamisme
Les formes de l'avion s'inspirent de celles des planeurs. La différence est qu'il s'agit d'un appareil bipoutre équipé d'un réacteur sur son dos. Les ailes rappellent celles des planeurs et l'envergure est comparable à celle d'un Airbus A320. Entièrement tourné vers l'aérodynamisme, l'espace de vie du pilote a été sacrifié. La taille de la visière s'arrête ainsi juste en dessous du niveau des yeux et sa largeur est à peine suffisante pour que le pilote puisse y glisser sa tête
Par contre, le Global Flyer ne dispose pas d'aérofreins suffisamment efficaces pour atterrir correctement. Pour palier à ce problème, des mini-parachutes ont été montés entre les deux poutres principales de l'avion.
La propulsion
Au début, Burt Rutan avait privilégié l'utilisation de deux moteurs à hélice, à la manière du Voyager. Finalement la solution d'un unique réacteur a été retenue. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il s'agit d'un moteur issu de la grande série: le FJ44. Le FJ44 de Williams International équipe le Cessna Citation Jets et est conçu pour être à la fois très économique et facile d'entretien. 2000 de ces réacteurs volent actuellement de par le monde.
En revanche, le carburant est quant à lui très spécial: il s'agit d'un mélange Kérosène/gasoil ayant la particularité de rester à l'état liquide par très grand froid. Il s'agit d'une technologie issue de l'armée et mise à disposition de l'équipe du Global Flyer.
Caractéristiques
Longueur: 13,41 m
Envergure: 35 m (34,09 m pour un Airbus A320)
Hauteur: 4,05 m
Vitesse maximale: plus de 600 km/h
Vitesse de croisière: 460 km/h
Vitesse économique: environ 300 km/h
Altitude de croisière: 13 000 à 15 000 m (environ 10 000 m pour les avions de ligne)
Distance franchissable: 40 234 km (distance parcourue lors de son tour du monde)
Masse à vide: 1 522 kg (1 560 kg pour une Peugeot 407 SW 2L)
Masse maximale: plus de 10 tonnes (10 000 kg) dont 8 600 kg de carburant
Nombre de place: 1 (celle du pilote)
4 - Une tentative réussie
Steve Fossett a finalement gagné haut la main son pari. Il a effectivement atterri à 20h50, heure de Paris. L'approche, l'atterrissage et la sortie du pilote de l'avion ont été filmés et diffusés en direct sur plusieurs chaînes de télévision dans le monde. Visiblement fatigué, mais en bonne santé, Steve Fossett a salué l'équipe qui l'a aidé et le public venu l'accueillir.
Les conditions de vols
Son tour du monde en avion sans escale a finalement duré 67 heures et 2 minutes, soit un temps largement en deçà de l'objectif initial de 80 heures. Mais dans un avion où tout a été sacrifié pour l'aérodynamisme et la légèreté, il s'agit de 67 heures enfermé dans un étroit cockpit d'à peine 2 mètres de long, obligeant le pilote à conserver la même position sur l'ensemble du parcours.
Une autre difficulté est l'obligation de rester éveillé. Si rester trois jours sans dormir est impressionnant, il ne s'agit pas d'une première pour Steve Fossett qui est déjà resté en éveil plus de 71 heures d'affilé lors de son tour de monde à la voile. Bien évidemment, Steve Fossett a suivi un entraînement spécifique et s'est présenté à son vol dans un état très détendu.
La nourriture de bord était entièrement composée de Milk-shake accompagné d'eau. Cette solution s'est avérée plus pratique que la dégustation classique.
La route
Le Global Flyer tenant tout autant du planeur que de l'avion, le choix de la route a été guidé par les vents dominants, particulièrement forts en haute altitude, le Jet Stream. Mais le parcours réellement effectué par Steve Fossett a été légèrement différent. Il est ainsi passé par le Maghreb au lieu de survoler l'Europe et a utilisé une route plus directe au-dessus du Pacifique.
En noir: la route prévue, en rouge: la route réelle
Ayant débuté son vol à une vitesse élevée pour l'appareil, 600 km/h, sa réserve de carburant a atteint un niveau bien plus bas que prévu lors du début de la traversée du pacifique. Si au début, les équipes du Global Flyer ont songé à faire atterrir l'appareil sur les îles Hawaï, des vents plus favorables ont finalement changé la donne. L'atterrissage "anticipé" a dans un premier temps été repoussé sur les côtes californiennes avant que la décision de boucler le tour du monde ne soit finalement prise. Il est à noter qu'en cas de panne sèche, l'aérodynamisme du Global Flyer lui permet de planer sur une distance de 400 km à partir de son altitude de croisière.
Après l'arrivée
Expérimentation de la NASA
Le tour du monde a aussi été l'occasion pour la NASA de tester un nouveau système de communicationmultimédia par satellite. L'agence américaine a ainsi installé un équipement expérimental de transmission de vidéos et de sons à bord du Global Flyer. Il s'agissait de tester la possibilité d'entretenir une communication multimédia via satellite avec un engin se déplaçant autour du globe.
Ce système permettra une meilleure flexibilité et fiabilité pour les futures communications entre les engins spatiaux habités et la Terre. Pour le moment, les communications vers la navette et la station orbitale (ISS) passent par un dispositif comprenant un grand nombre de radars disposés autour de notre planète.
5 - Applications possibles, conclusion
Si le Global Flyer n'a été conçu que pour permettre à un homme de faire le tour du monde sans escale en moins de trois jours, les technologies qui ont été utilisées sont amenées à être employées dans des appareils de séries.
Malgré des lignes faisant penser avant tout à des avions civils et écologiques, l'US Air Force et la Nasa se montrent intéressés par les technologies développées pour les appareils de Burt Rutan. L'armée américaine compte en effet se doter de drones (avions sans pilote) pouvant voler sur de très longues distances sans escale. Deux applications sont envisagées: la surveillance et l'observation de territoires, et l'attaque de cibles lointaines.
La Nasa étudie en ce moment 4 projets de drones de surveillance afin de remplacer l'avion solaire Hélios qui a été détruit en 2003. De même, l'armée américaine et Northrop Grumman (avionneur américain spécialisé dans le militaire) ont mené des expérimentations sur le Proteus, un autre avion conçu par Burt Rutan et utilisant des technologies similaires à celles du Global Flyer. Les tests effectués ont consisté notamment à l'emport et au largage d'une bombe de 227 kg. Northrop Grumman compte ainsi se servir des technologies de Scaled Composites pour développer un Drone multirôle pouvant évoluer à haute altitude et sur de longues distances pour des missions comprenant la surveillance et l'attaque au sol.