Si l'uchronie change le cours de l'histoire pour créer une intrigue et faire réfléchir, l'auteur part de l'histoire réelle dont les éléments se retrouvent dans ce monde changé :
Comme plus tard, Robert Harris dans Fatherland, Dick ne peut imaginer une Seconde Guerre mondiale qui ne se terminerait pas en Guerre froide. Les relations entre les alliés allemands et japonais sont loin d'être cordiales dans le roman.
Dans la réalité, la conclusion du roman est cohérente, non sur le plan militaire, mais sur le plan économique. La défaite en 1945 de l'Allemagne et du Japon a eu un effet économique : privés d'armée puissante et de prestige militaire, les deux pays vaincus se sont repliés vers l'excellence économique. Ils sont redevenus des puissances économiques mondiales au bout des « Trente Glorieuses ». Dans le Maître du Haut-Château, les habitants des États-Unis se relèvent lentement de la défaite par l'innovation artisanale, par la vente de leur patrimoine à des vainqueurs qui l'apprécient. Ils commencent à prendre leur revanche comme le montre le personnage Frank dans sa relation avec les Japonais, mais sont décrits comme gardant un fort complexe d'infériorité devant la culture de leurs vainqueurs.
Enfin, Philip K. Dick tire des conclusions technologiques à la victoire des Nazis. Les États-Unis, dans son uchronie, n'ont plus les moyens de développer leur aviation à réaction, c'est l'ingénieur allemand Werner von Braun qui va inventer pour l'Allemagne des fusées pour les vols intercontinentaux : la Lune est conquise peu après la fin de la guerre, les premières missions vers Mars commencent dans la décennie qui suit, ce que Dick impute dans le livre au goût pour l'abstraction de la culture allemande, « La race, la colonisation spatiale, l'espace vital : ils ne raisonnent que comme ça ».
Dans la réalité, c'est bien von Braun qui a développé des fusées-missiles V2 pour Hitler avant d'être récupéré par les États-Unis d'Amérique et de participer aux projets de fusées spatiales : le projet Jupiter lui sera confié après les échecs répétés du programme Vanguard de la Marine qui ne l'avait pas consulté, et sera, lui, un sans faute.
La fin du livre est énigmatique. En effet Juliana apprend alors que c'est l'oracle qui a écrit La Sauterelle et à la question "Pourquoi ?", ce dernier répond que c'est la vérité. Quelle est cette vérité dont parle l'oracle ? Dans un roman où le monde est clairement sous la domination de l'Axe, les personnages doivent admettre que "l'Allemagne et le Japon ont perdu la guerre". On peut y voir une nouvelle mise en abyme où, sans se l'avouer clairement, les personnages doivent admettre qu'ils vivent dans une fiction. Cependant, le livre écrit par l'oracle ne décrit pas tout à fait notre réalité. Et le livre ne peut que nous renvoyer à notre propre questionnement, quelle est notre réalité ? Car nous aussi, comme les personnages du roman, nous lisons un livre qui nous décrit un autre monde en nous disant "c'est la réalité". À travers ces jeux de miroirs, le roman de Philip K. Dick pose à nouveau la question de la définition de la réalité, de sa frontière avec la fiction, de notre existence et de son incertitude.