L'uchronie est une évocation imaginaire dans le temps. « Uchronie » est un néologisme du XIXe siècle fondé sur le modèle d’utopie, avec un « u », négatif et « chronos » (temps) : étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas.
En littérature, c'est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé. On utilise également l’expression « histoire alternative » (alternate history) ou histoire contrefactuelle. Lorsqu’elle est associée à des moyens techniques qui permettent de remonter dans le temps et donc de modifier le passé, l’uchronie est directement associée au genre de la science-fiction.
L’auteur d’une uchronie prend comme point de départ une situation historique existante et en modifie l’issue pour ensuite imaginer les différentes conséquences possibles. À partir d’un événement modifié, l’auteur crée un effet domino (terme anglo-saxon couramment utilisé : effet papillon) qui influe sur le cours de l’Histoire. Cette volonté de changer le cours de l’histoire pour imaginer ce qu’elle aurait pu être rappelle la phrase de Blaise Pascal : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé » (Pensées, 90).
Régis Messac, dans sa revue des Primaires donne, en 1936, de l’uchronie cette définition : Terre inconnue, située à côté ou en dehors du temps, découverte par le philosophe Renouvier, et où sont relégués, comme des vieilles lunes, les événements qui auraient pu arriver, mais ne sont pas arrivés.
Le mot est inventé par Charles Renouvier, qui s’en sert pour intituler son livre Uchronie, l’utopie dans l’histoire, publié pour la première fois en 1857. « Uchronie » est donc un néologisme du XIXe siècle fondé sur le modèle d’utopie (mot créé en 1516 par Thomas More pour servir de titre à son célèbre livre, Utopia), avec un « u » privatif et, à la place de « topos » (lieu), « chronos » (temps). Étymologiquement, le mot désigne donc un « non-temps », un temps qui n’existe pas.
Le plus ancien exemple connu d’uchronie apparaît dans l’Histoire de Rome depuis sa fondation de Tite-Live (Livre IX, sections 17-19). Il réfléchit à la possibilité qu’Alexandre le Grand ait lancé sa conquête à l’ouest plutôt qu’à l’est ; il aurait attaqué Rome au IVe siècle av. J.-C..
La première œuvre entièrement uchronique semble avoir été le roman de Louis Napoléon Geoffroy-Château, Napoléon et la conquête du monde, 1812-1813 (1836). Dans ce livre, Geoffroy-Château postule que Napoléon aurait fui Moscou avant le désastreux hiver 1812. Pour l’auteur, l’empereur aurait eu assez de forces militaires pour conquérir le monde.
En langue anglaise, la première uchronie littéraire connue est une nouvelle de l'Américain Nathaniel Hawthorne, P.'s Correspondence (1846) ("La correspondance de P.", traduction d'Alexandra Lefebvre, dans le recueil "Le Hall de l'Imagination", Éditions Allia, Paris, 2006), qui passe pour fou, raconte ses rencontres avec des personnalités littéraires et politiques anglaises d'un 1845 différent de notre 1845 (années 1840), où toutes ces figures sont déjà mortes. Lord Byron n'est pas disparu en héros de la lutte pour l'indépendance grecque, mais est devenu un vieux nobliau obèse, conservateur farouche faisant expurger et censurer sa propre poésie, et abandonnant Moore à la misère et à la mort. Robert Burns vit toujours, mais un peu gâteux. Walter Scott est paralysé et sénile, William Wordsworth vient de mourir. Percy Shelley, rescapé de la noyade au large de La Spezzia, est devenu un anglican dévot : il écrit de la littérature pieuse et prépare l'édition d'une Preuve philosophico-religieuse du Christianisme. Keats se consacre à la composition d'une épopée du futur de l'Humanité. Napoléon Bonaparte, âgé de 70 ans, revenu de Sainte-Hélène où le climat l'a irrémédiablement diminué, erre seul dans les rues de Londres, déchu, oublié de tous. Kean, le fameux acteur shakespearien, mort même dans cet univers, se produit néanmoins encore à Drury Lane, mais seulement dans le rôle du fantôme de Hamlet.
En 1876, Charles Renouvier publie son Uchronie (l'utopie dans l'histoire) : esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu'il n'a pas été, tel qu'il aurait pu être. La divergence avec notre histoire se produit au IIe siècle, à Rome, sous Marc Aurèle ; l'issue différente d'une intrigue de cour incite l'empereur stoïcien à radicaliser sa politique anti-chrétienne et à exclure les chrétiens de la citoyenneté. Le Christianisme ne devient pas religion d'État conquérante et agressive sous Constantin, mais se développe chez les Barbares, sous une forme plus douce et plus évangélique. Au XVIe siècle, l'Europe hérite d'une histoire pacifiée, où l'Église a paisiblement infiltré un Empire plus stable et durable ; la Réforme violente et les Guerres de Religion n'ont pas eu lieu. Ce récit uchronique, remarquable en soi, est censé être l'œuvre d'un hérétique de "notre" XVIIe siècle, condamné au bucher par l'Inquisition ; il est encadré par des textes présentant cet auteur imaginaire et de documents associés, dans une structure emboîtée.
Le premier roman anglais est Aristopia de Castello Holford (1895). Holford imagine que les premiers colons de Virginie ont découvert une montagne d’or qui leur aurait permis de bâtir une société utopique en Amérique du Nord.
Plusieurs autres œuvres uchroniques paraissent ponctuellement à la fin XIXe et au début XXe siècle.
Cependant, le travail majeur suivant fut certainement, en 1931, la parution d’une anthologie d'« histoires alternatives » (selon la dénomination anglaise) par l’historien britannique, Sir Johan Squire et titrée If It Had Happened Otherwise (Si ça avait eu lieu autrement). C’est un recueil de textes écrits par de grands professeurs d’histoire des universités d’Oxford et de Cambridge. On y trouve par exemple :
L’uchronie devint populaire petit à petit grâce aux magazines américains publiant des nouvelles de science-fiction. En décembre 1933, Astounding Stories publie Ancestral Voices (Les voix ancestrales) de Nat Schachner, puis Sidewise in Time de Murray Leinster. Leinster complexifie les changements historiques : dans son univers, les pays commercent avec leurs analogues du passé et du futur. Le point de vue est celui du héros, un professeur d’université, qui voyage de monde en monde pour découvrir ce qui serait advenu du monde si tel événement avait été différent. Dans la même période des années 1930 se développent les histoires de voyage dans le temps.
Le genre de l’uchronie connaît un boom commercial depuis la fin des années 1980 avec plusieurs auteurs prolifiques :
et deux auteurs qui éditent des anthologies de récits uchroniques :
Turtledove a développé plusieurs séries de romans :
Daniel S. Larangé étudie le phénomène d'uchronie dans le cadre de la théorie des mondes possibles. L'uchronie permettrait de passer à une théorie des mondes multiples au regard du principe de l'effet domino. Elle conforterait la théologie de l'histoire qui suppose la présence d'une Raison dans la destinée des événements et des actions humaines qu'ils impliquent. Une pareille représentation prouverait à quel point l'homme est devenu un être de récits, qui se nourrit d'histoires et produit constamment autour de lui un environnement "historique". Il en vient donc à identifier les récits uchroniques, qui reconstruisent l'histoire, à des discours spirituels qui expriment les craintes et les espérances d'une société à un moment donné. En ce sens, l'homme est bien un-être-pour-le-lire (zum Buch sein), selon l'expression formée par Emmanuel Levinas et repris par Edmond Jabès. En 1995 est créé le Sidewise Award for Alternate History, du nom de l’histoire de Murray Leinster.