Charles Darwin n’est pas l’auteur d’une théorie de « l’évolution des espèces » ; il est bien plutôt celui qui a proposé un mécanisme pour expliquer la transformation et la diversification adaptative des espèces dans leur milieu. En effet, l’ouvrage publié en 1859 qui le rendit célèbre s’intitule très explicitement L’Origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie et non L’Évolution des espèces… Le terme d’évolution — qui en biologie et en Angleterre a pris son sens moderne d’évolution des êtres vivants aux alentours de 1832 avec Charles Lyell — n’apparaît dans cet ouvrage qu’en 1872, dans la sixième et dernière édition, revue et corrigée par Darwin. En réalité, l’évolutionnisme darwinien est surtout une explication de la transformation adaptative des espèces. Ce n'est que plus tard, vers le début du XXe siècle, avec la redécouverte des lois de Mendel, que le darwinisme deviendra véritablement une théorie de l'évolution en s'articulant avec les mécanismes de l'hérédité.
Au début du XIXe siècle, l’Angleterre est un pays d’éleveurs qui ont plus que tout autres développés leurs méthodes de sélection et produit de nombreuses variétés animales. Darwin s’inspire de leur expérience « par le biais de questionnaires imprimés, de conversations avec les éleveurs et des jardiniers habiles et de lectures étendues » (Autobiographie) en transposant l’idée de la sélection artificielle vers la nature : la sélection naturelle opère un tri dans la grande variété des individus à l’égal des sélectionneurs. Se pose alors le problème de l’origine des variations et celui du ressort de la sélection dans la nature.
Chez Darwin, l’origine des variations et de leur transmission de génération en génération sont inexpliquées. Il considère que les variations sont spontanées. La génétique n’existe pas encore, et avec elle la notion de mutation. Cette variation n’est pas mise en rapport avec une des spécificités des êtres vivants, à savoir leur individualité.
Contrairement à ce que pensent de nombreux biologistes, Darwin eut également recours à l’hérédité des caractères acquis dans L’Origine des espèces (cette dénomination est d’ailleurs aussi impropre que pour Lamarck), sur un mode tout à fait lamarckien celui des effets de l’habitude, de l’usage et du non usage des organes et sans reconnaître l’influence de Lamarck sur ce point. Darwin va même jusqu’à proposer un modèle pour la transmission des caractères acquis sous le nom « d’hypothèse de la pangenèse » dans Les Variations des animaux et des plantes sous l’effet de la domestication (1868). Son modèle ressemble à celui qu’avait proposé Maupertuis dans son Système de la Nature (1745) hormis l’utilisation de la théorie cellulaire. Curieusement, il se révèle en 2009 qu'un type d'hérédité de caractères acquis existerait chez quelques rongeurs.
En ce qui concerne la sélection, le postulat de base de Darwin est qu’il n’y a pas de puissance surnaturelle qui sélectionnerait les individus afin d’améliorer les espèces. Chez Darwin, il n’y a pas de théorie ou de définition de la notion de vie, contrairement à Lamarck. La sélection doit donc être le produit d’un ressort non-intentionnel et non-dirigé, émaner d’un ensemble de conditions spontanées et nécessaires, qui aboutissent néanmoins à l’adaptation de l’être vivant à son milieu.
« En octobre 1838, c’est-à-dire quinze mois après le début de mon enquête systématique, il m’arriva de lire, pour me distraire, l’essai de Malthus sur la Population ; comme j’étais bien placé pour apprécier la lutte omniprésente pour l’existence, du fait de mes nombreuses observations sur les habitudes des animaux et des plantes, l’idée me vint tout à coup que dans ces circonstances, les variations favorables auraient tendance à être préservées, et les défavorables à être détruites. Il en résulterait la formation de nouvelles espèces. J’avais donc enfin trouvé une théorie sur laquelle travailler ; mais j’étais si anxieux d’éviter les critiques que je décidais de n’en pas écrire la moindre esquisse pour quelques temps. » (Autobiographie, p. 100)
Darwin transpose dans le monde vivant la conception que le pasteur Thomas Robert Malthus (1766-1834) a exposée dans son Essai sur le principe de population :
seuls alors survivent et parviennent à se reproduire les plus adaptés à ces circonstances (survival of the fittest),
Tel est le dispositif logique qui constitue la base de la conception de l'évolution selon Darwin. S'y ajoutent ensuite quelques mécanismes annexes, repris en partie de Lamarck, qui viennent soutenir la théorie à chaque fois que l'explication sélectionniste est prise en défaut.
Bien que n'étant qu'un résumé des travaux de Darwin, les idées qui sont à la base de L’Origine des espèces sont, d'un point de vue scientifique, assez simples (beaucoup plus simples que celles qui fondent le darwinisme actuel). Sur environ 600 pages, l'exposé de ces idées proprement dites n'excède pas quelques pages. Par ailleurs ces idées sont telles qu'elles ne se prêtent pas à un développement, comme il y en avait chez Descartes ou Lamarck qui, à partir de quelques principes, élaboraient toute une conception de l'être vivant. La conjonction de ces deux faits entraîne que, une fois les idées de base présentées, la quasi-totalité de l'ouvrage est ce que l'on peut appeler "un exposé de cas" plutôt qu'un développement. C'est-à-dire que Darwin envisage successivement toutes sortes de cas particuliers et montre qu'ils peuvent tous se comprendre dans le cadre de sa théorie, que ce soit pour telle ou telle espèce animale ou végétale, ou pour des problèmes tels que l'isolement géographique, la variation du climat, les fossiles, etc. Très souvent, il expose longuement les cas qu'il traite et, en conclusion, indique en deux lignes qu'ils peuvent se comprendre dans le cadre de sa théorie de la sélection naturelle. Tout cela rend l'ouvrage un peu fastidieux (les cas énumérés sont loin d'être tous passionnants), et le fait ressembler aux traités de casuistique où l'on s'efforce de résoudre, un par un, tous les cas moraux, même les plus extravagants, à la lueur des principes de la morale chrétienne. On ne peut manquer de voir là, une fois de plus, l'influence déterminante dans la formation intellectuelle de Darwin des méthodes du pasteur et théologien William Paley. Cet aspect fastidieux (qui rend probable l'hypothèse selon laquelle le livre a été moins lu qu'il ne s'est vendu ou est cité) est renforcé dans l'édition définitive (le sixième, en 1872), car Darwin y répond aux objections que les précédentes éditions de son ouvrage ont soulevées, ce qui multiplie les cas envisagés, les repentirs et les corrections, et rend la lecture extrêmement pénible (à vrai dire, les ajouts successifs ont fini par rendre certains passages absolument incompréhensibles).
Le darwinisme sera marqué définitivement par ce procédé ; sans cesse, il cherchera sa justification dans l'explication de cas (il prétend alors se référer à l'expérience), et sans cesse les anti-darwiniens le critiqueront en cherchant des cas que le darwinisme ne pourra pas expliquer. Ces particularités sont très largement responsables d'un mode de raisonnement et d'une atmosphère de polémiques et de chicanes qui caractérise encore la biologie moderne.