La période de la Reconstruction des villes (1945~1955) apparaît comme atypique dans l’histoire de la décoration française -le plus souvent rattachée à l’idée de luxe et d’élitisme. Après 1945, les grands maîtres de l’Art déco sont rejetés, la critique trouve cette débauche de luxe aussi absurde qu’indécente dans un pays touché par la misère. Quelques années après la Libération, les opulents décors pour mécènes cèdent leur place à des modèles prioritaires ou de coût moyen pour sinistrés. Ces modestes meubles obéissent à une ligne à peu près constate, que l’on qualifie rapidement de « style », dont la revue Arts ménagers donne les principales caractéristiques : « L’exiguïté des pièces de nos appartements ne peut accueillir les meubles monumentaux et solennels […]. Le meuble moderne est avant tout un meuble sobre, aux lignes nettes, aux dimensions réduites, de volume ou de surface entièrement utilisable et d’ailleurs susceptible d’accroissement grâce à un nombre d’ingénieux aménagements. Sans surcharge, sans sculpture, sans incrustation, il est d’entretien facile pour la maîtresse de maison […]. Le bois est le plus souvent du bois naturel : chêne clair ou teinté, parfois cérusé, rarement verni. Il y a une unité de style dans le meuble moderne. Il n’est pas indispensable pour se meubler de faire appel à un seul décorateur. Les mobiliers de série, tout en étant variés dans leur exécution, tout en présentant des originalités qui les différencient, ressortent d’une certaine unité de conception ».
Cette idée de meubles simples et modulables est apparue chez Francis Jourdain au début du Vingtième siècle (les meubles interchangeables, 1912-1913) ; par la suite, quelques décorateurs comme René Gabriel, Louis Sognot ou encore Etienne-Henri Martin se penchent sur cette question d’un style combinant qualité et abaissement des coûts par préfabrication d’éléments modulaires. Après la mort prématurée de René Gabriel (1950), Marcel Gascoin devient la tête de file de ces recherches au Salon des arts ménagers, supervisant la section du « Foyer d’aujourd’hui » et la remise du prix René Gabriel - récompense offerte au mobilier de série innovant. Quand les chantiers de la reconstruction aboutissent, des appartements témoins (Appartement témoin (Le Havre)) diffusent les idées et les objets promulgués au Salon des arts ménagers sur l’ensemble du territoire français. En présentant des aménagements-types, Marcel Gascoin et ses proches imposent alors un mobilier paraissant aussi bien adapté aux besoins du foyer moyen que pouvait l’être le reste de l’équipement ménager.
Le rangement est au centre de la relation entre contenant et contenu, et l’on comprend l’acharnement de Marcel Gascoin à mesurer et à normaliser chaque objet de la maison pour finaliser un gabarit produit en série. Patrick Favardin rapporte qu’il aurait mesuré tous les objets du quotidien pendant l’Occupation et aurait ainsi imaginé l’optimisation des meubles. Ces études se retrouvent dans les croquis qu’il réalise pour l’AFNOR en 1947 et les abaques publiés dans L’art Ménager Français. Il s’intéresse toute sa carrière à la question de la préfabrication des rangements qu’il réalise tout d’abord pour l’A.R.H.EC. de 1949 à 1955 (blocs-tiroirs équipant armoires, placards et bahuts), puis par la SICAM et les meubles Alvéole. Dans la cuisine, son implication au sein de la marque Comera™ se prolonge dans jusqu’au milieu des années 1960.
Au trentième Salon des arts ménagers en 1961 -qui se tient pour la première fois au C.N.I.T.- un « appartement préfabriqué » entièrement meublé par Gascoin est présenté comme modèle pour les H.L.M.. De façon caractéristique, l’aménagement intérieur répond à « l’appartement idéal des Français » modélisé d’après sondage avec, dans chaque pièce, un « rangement » constituant l’unique élément mobilier. On atteint alors le paroxysme d’une pensée rationnelle où les différents usages des meubles (la commode, le buffet ou l’armoire) se limitent à une seule fonction : Ranger. Le reste n’est plus qu’une affaire d’assemblage : tiroirs, portes, abattants ou vides expriment la polyvalence du «mur Gascoin ». Cependant, vers 1960, ses créations se marginalisent et il tend, comme tête de file du meuble de série au Salon des arts ménagers (qui reçoit désormais plus d’un million de visiteurs), à mettre en avant les « jeunes créateurs » qu’il avait formé dans son atelier.