Introduction
Le durcissement des composants électroniques contre les rayonnements ionisants désigne un mode de conception, de réalisation et de test des systèmes et composants électroniques pour les rendre résistants aux dysfonctionnements et dégradations causés par des rayonnements électromagnétiques et les particules subatomiques énergétiques rencontrés lors des vols spatiaux ou en haute altitude, ainsi que dans l'environnement des réacteurs nucléaires, voire lors d'opérations militaires.
La plupart des composants « durcis » face aux rayonnements ionisants sont des adaptations de composants du marché, réalisés selon des procédés destinés à limiter les effets des radiations sur les matériaux qui les constituent. En raison de la complexité de ces adaptations, le développement de tels composants, destinés à un marché de niche, prend du temps et revient cher. C'est la raison pour laquelle ces composants offrent des performances souvent très en retrait par rapport à leurs équivalents contemporains du marché.
Dommages dus aux rayonnements ionisants
Une simple particule chargée de haute énergie traversant un matériau semi-conducteur est susceptible d'injecter des centaines d'électrons dans la bande de conduction, accroissant le bruit électronique et provoquant un pic de signal dans un circuit analogique, ou faussant les calculs dans un circuit numérique. À plus forte énergie, c'est la qualité même des matériaux, et par conséquent leurs propriétés physiques, qui peut être définitivement dégradée, conduisant à la destruction pure et simple du composant irradié. C'est un problème particulièrement critique pour l'électronique des satellites et des vaisseaux spatiaux, de l'aviation militaire, et des installations nucléaires.
Les méthodes employées pour rendre les composants électroniques résistants aux radiations sont généralement désignées du terme anglais radiation hardening, et de tels composants sont dits rad-hard ; les termes français radiodurcissement et radiodurci, qui seraient équivalents, ne se rencontrent quasiment jamais dans la littérature.
Effets des radiations sur les composants électroniques
Mécanismes physiques
Deux types d'effets sont à considérer :
- Les défauts cristallins induits par les particules subatomiques ainsi que par les photons gamma de très grande énergie, perturbent le réseau cristallin des matériaux électroniques et provoquent des désordres irrémédiables en multipliant les centres de recombinaison. Ceci a pour effet de neutraliser l'essentiel des porteurs minoritaires et donc de modifier sensiblement les propriétés électroniques des matériaux irradiés. De façon quelque peu paradoxale, des doses de radiations supérieures sur de brèves périodes de temps peuvent générer un recuit qui restaure partiellement les propriétés du matériau, conduisant à des dommages moindres que ceux produits par des doses de radiations plus faibles mais sur une plus longue période de temps. Les transistors bipolaires sont particulièrement sensibles à ce type de dégâts en raison du rôle déterminant que jouent les porteurs minoritaires dans ce type de structures.
- Les effets ionisants provoqués par les particules chargées, y compris celles dont l'énergie est trop faible pour induire des défauts cristallins, sont généralement transitoires mais peuvent conduire à la destruction des composants touchés, notamment par effet de latchup (voir plus loin). Les photocourants induits par les rayons X et ultraviolet peuvent également être rangés dans cette catégorie d'effets. L'irradiation des transistors MOSFET provoque l'accumulation progressive de trous dans la couche d'oxyde qui finit par dégrader leurs performances jusqu'à les détruire.
Manifestation de ces effets
Du point de vue de l'utilisateur, on peut classer ces effets en plusieurs groupes :
- Effets des neutrons : il s'agit principalement des défauts cristallins induits par les neutrons de grande énergie. Ces défauts cristallins constituent autant de centres de recombinaison qui réduisent la durée de vie des porteurs minoritaires. Ils affectent donc surtout les transistors bipolaires et peu les transistors CMOS. Le comportement des transistors bipolaires en silicium change dès 1010 à 1011 neutrons/cm2, tandis que les transistors CMOS demeurent indemnes jusqu'à des taux de 1015 neutrons/cm2. Les diodes électroluminescentes (LEDs) en arséniure de gallium (GaAs) sont également très sensibles aux neutrons. La sensibilité des composants électroniques à ce type de défauts augmente avec le degré d'intégration et donc avec la finesse des circuits. Les neutrons sont également susceptibles d'induire une radioactivité secondaire par excitation des noyaux atomiques dans le matériau du composant électronique.
- Effet de dose : il s'agit d'une dégradation progressive des performances des composants électroniques sous l'effet d'une irradiation prolongée. Un composant en silicium ayant reçu une dose de radiations cumulée de plus de 50 Gy pendant quelques secondes à quelques minutes sera définitivement endommagé. Dans les circuits CMOS, les rayonnements ionisants génèrent des paires électrons-trous dans les couches isolantes de la grille qui provoquent l'apparition d'un photocourant lors de leur recombinaison, tandis que les trous piégés dans le réseau cristallin de l'isolant modifient le courant de seuil des transistors : les MOSFETs canal N commutent de plus en plus facilement, tandis que les MOSFETs canal P commutent de plus en plus difficilement ; à terme, ces transistors cessent complètement de fonctionner.
- Effets transitoires : ils surviennent lors d'une exposition intense mais brève à un rayonnement ionisant, typiquement en cas d'explosion nucléaire, et génèrent des photocourants à travers l'ensemble du matériau semi-conducteur, conduisant les cellules mémoires à basculer et les transistors à changer d'état logique de façon aléatoire. Des dégâts permanents peuvent survenir lorsque l'irradiation se prolonge ou si l'impulsion provoque des court-circuits ou des phénomènes de latchup ; ces derniers sont fréquemment causés par les flashes de rayons X et gamma des explosions nucléaires.
- Effets singuliers : ils sont provoqués au passage d'une particule unique, généralement un ion lourd ou un proton énergétique, et se décomposent en effets transitoires (erreurs logicielles : SEU « S E U ») et effets permanents (erreurs matérielles : SEL « S E L »).
- Un SEU se matérialise typiquement par le changement d'état logique d'une cellule mémoire sous l'effet d'une particule chargée. C'est un effet transitoire qui sera effacé par la réécriture de la cellule mémoire affectée. Tout circuit électronique qui possède des cellules mémoires est susceptible de connaître des SEU.
- Un SEL survient par la mise en conduction d'une succession de jonctions PNPN, présente dans tous les circuits CMOS, formant un thyristor parasite dont le déclenchement provoque un court-circuit entre l'alimentation et la masse du circuit, ce qui peut conduire à sa destruction.