La chute du mur de Berlin en 1989 annonce le passage d'un monde caractérisé par des clivages idéologiques, entre communisme et capitalisme, ou impérialisme et anti-impérialisme, à un monde marqué par des clivages culturels. « Pour la première fois dans l'histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multicivisationnelle. » À l'appui de sa thèse, Huntington montre que la chute des idéologies s'est accompagnée d'une résurgence des sentiments identitaires, que ce soit dans le monde musulman, avec le réveil de l'islam radical, qu'en Asie ou dans les pays d'Europe orientale (comme la Pologne par exemple), qui ont fait leur révolution au nom de leur nation et de leur culture.
Le deuxième temps de la « thèse du grand seigneur » d'Huntington consiste à avancer que ce réveil identitaire ne s'affirme plus par le biais des nations, comme au XIXe siècle et au XXe siècle, ni celui des ethnies, mais à l'échelle civilisationnelle, du fait de la mondialisation des échanges. Or, pour Huntington, les civilisations ont toutes pour origine une grande religion qui en a formé le socle moral et politique.
Huntington décrit les grandes civilisations contemporaines suivantes :
La civilisation chinoise (sinic) comprend le monde chinois (au sens large, y compris la diaspora chinoise : Chine, ainsi que les cultures connexes de Corée et du Vietnam, et Philippines.
Le Japon forme une civilisation spécifique.
La civilisation indienne ou hindoue recouvre le sous-continent indien : Inde, Sri Lanka et diaspora indienne), et fondée sur l'hindouisme. Huntington cite Fernand Braudel à ce propos : « C'est davantage qu'une religion ou qu'un système social ; c'est le noyau de la civilisation indienne. »
La civilisation islamique (du Sénégal à la Nouvelle-Guinée)se fonde sur la religion musulmane. Huntington y distingue des sous-ensembles (qu'il appelle « cultures » ou « sous-civilisations » (sans connotation péjorative) : les cultures arabe, turque, perse et malaisienne.
La civilisation occidentale se compose de trois grands ensembles : l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Océanie (Europe de l'Ouest, États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), fondée sur le christianisme. Huntington insiste sur le fait que les rapports avec les Européens ont beaucoup évolué avec le temps. L'Amérique du Nord s'est longtemps définie contre l'Europe. Ce n'est qu'au XXe siècle, alors que l'Amérique du Nord prend le commandement de « l'Occident » qu'elle se reconnaît « européenne ». « Cependant, on appelle généralement « occidentale » la civilisation euro-américaine. Malgré ses défauts, c'est ce terme qui sera utilisé ici. »
Pour Huntington, bien qu'elle dérive de la civilisation européenne, l'Amérique du Sud n'en a pas moins suivi un développement différent des deux autres composants : Europe et Amérique du Nord. Elle se caractérise par un corporatisme et un autoritarisme spécifiques, par un contact avec d'autres cultures (Incas, Aztèques, etc.) et par le fait qu'elle soit demeurée seulement catholique, alors que les deux autres entités ont l'influence de la Réforme protestante.
La civilisation africaine (si possible)(sans l'Afrique du Nord ni la Corne de l'Afrique), civilisation pour laquelle Huntington reconnaît qu'il n'y a pas de religion dominante, mais plutôt un ensemble de pratiques animistes. Pour lui, l'existence d'une grande religion est une condition préalable à l'existence d'une grande civilisation.
La civilisation orthodoxe (Russie, Ukraine, Serbie, Grèce...), fondée sur le christianisme orthodoxe. Huntington n'y fait aucune allusion dans le chapitre où il définit les grandes civilisations. Par contre, dans les analyses ultérieures, la civilisation orthodoxe est considérée comme telle.
Huntington précise qu'on ne peut pas parler de civilisations bouddhiste ou juive. Le bouddhisme est une grande spiritualité mais son extinction en Inde et sa capacité à se fondre dans des modèles préexistants ne permettent pas d'en faire le socle d'une grande civilisation. En ce qui concerne le judaïsme, sa faiblesse démographique est antinomique avec la définition même de civilisation et l'identification subjective des juifs est complexe : de nombreux juifs diasporiques se reconnaissent comme juifs mais pas comme Israéliens, se réclamant de fait comme membres de leur civilisation de rattachement.
Selon Huntington, les conflits civilisationnels peuvent se manifester de plusieurs manières :