L'ancêtre commun de tous les gnathostomes actuels vivait dans l'eau douce et c'est plus tard qu'il est retourné vers la mer. Pour lutter contre la salinité beaucoup plus haute de l'eau marine, ses descendants ont acquis la capacité de transformer les déchets ammoniacaux en urée inoffensive, et de conserver cette dernière dans le corps afin de rendre le sang aussi salé que l'eau marine, sans empoisonner l'organisme.
Par la suite les actinoptérygiens sont revenus à l'eau douce et ont perdu cette possibilité. Comme leur sang contenait plus de sel que l'eau douce, ils pouvaient simplement se débarrasser de l'ammoniaque par leurs branchies. Et quand, une nouvelle fois, ils sont finalement revenus à la mer, il ne leur a pas été possible de récupérer le vieux système qui consistait à transformer l'ammoniaque en urée et il leur a fallu à la place élaborer des glandes qui excrétaient le sel.
Les dipneustes font de même: quand ils vivent dans l'eau, ils produisent de l'ammoniaque et pas d'urée; mais quand l'eau s'assèche et qu'ils sont forcés de se creuser un abri dans la boue, ils recommencent à produire de l'urée. À la manière des poissons cartilagineux, le cœlacanthe peut conserver l'urée dans son sang, comme le peuvent les seuls amphibiens que l'on connaisse capables de vivre pendant de longues périodes dans l'eau salée (le crapaud Bufo marinus et la grenouille Rana cancrivora). Il s'agit de traits qu'ils ont hérité de leurs ancêtres.
Si les premiers tétrapodes avaient vécu dans l'eau douce, ils auraient perdu la capacité de produire de l'urée et n'auraient plus utilisé que l'ammoniaque, ils auraient donc dû par la suite élaborer de nouveau cette capacité perdue à partir de zéro. Or, de tous les actinoptérygiens actuels, pas une seule espèce n'a été capable de le faire, il n'est donc pas probable que les tétrapodes l'auraient fait.
S'ils ne pouvaient produire que de l'ammoniaque les animaux terrestres seraient obligés de boire sans arrêt, ce qui rendrait impossible la vie sur la terre ferme (quelques exceptions existent, comme certains cloportes terrestres qui peuvent excréter leurs déchets azotés sous forme de gaz d'ammoniaque). Cela a dû probablement poser problème au début, au moment où les tétrapodes ont commencé à vivre une partie du temps hors de l'eau, mais finalement c'est le système de l'urée qui l'a complètement emporté. Pour cette raison il est fort douteux qu'ils soient venus de l'eau douce (à moins qu'ils n'aient d'abord émigré dans les habitats d'eau douce et soient ensuite passés sur la terre ferme au cours d'une deuxième émigration suivant de peu la précédente, alors qu'ils n'avaient pas encore oublié comment faire de l'urée), même si certains qui ne sont jamais allés sur la terre ferme (ou des espèces primitives éteintes qui sont revenues à la vie aquatique) pourraient évidemment s'être adaptés aux lacs et aux rivières d'eau douce.