Titre d’un roman de Fernand Pouillon, où il restitue le journal d’un maître d’œuvre de l’abbaye du Thoronet : « La plupart des pierres seront traitées rudement, grossièrement : nous gagnerons ainsi du temps. Le soleil accrochera les facettes, les éclats, et fera précieuse la matière scintillante. »
En vertu des principes de simplicité et d’autonomie, la carrière était autant que possible à l’intérieur de la clôture. Ici, elle est ouverte au chevet de l’église. L’abbé général de Cîteaux a donné la directive d’aller vite dans la construction pour ne pas indisposer davantage le comte de Provence, déçu par les tergiversations des moines. L’abbaye occupe un fond de vallée relativement plat. Les carrières furent ouvertes le plus près possible de l’abside. Il a fallu 30 à 40 000 m3 de pierres. Elle est construite sur un affleurement rocheux et on peut voir dans le cloître ou dans la salle du chapitre la pierre brute entre ou sous les pierres appareillées du mur. On a en cela une illustration manifeste du Prologue de la règle de saint Benoît : « Celui qui écoute mes paroles que voici et les met en pratique, je le comparerai à l’homme qui a bâti sa maison sur le rocher… » On peut également citer saint Bernard : « Quels avantages ne se trouvent dans la pierre ? C’est sur la pierre que je suis élevé, dans la pierre que je suis en sûreté et dans la pierre que je demeure ferme… » Ce dernier affirme, comme saint Jérôme, que la pierre est le Christ et que les moines vivent dans les trous de la pierre comme dans les plaies du Christ.
C’est le même matériau qui est utilisé dans toute l’abbaye, ce qui contribue à l’unifier. C’est une pierre calcaire assez dure et cassante, aux reflets gris et ocres, difficile à travailler. Le résultat prouve à quel point une contrainte peut être transformée en force. Tandis qu’elle permet les meilleurs effets de son (par les creux, les facettes, les vacuoles, dispersés dans sa masse) et de lumière, la pierre crée un lien entre l’édifice et son site. Les jeux subtils de découpe et de superpositions créent des volumes intéressants sans faire pour autant de concession théologique à l’esprit cistercien.
Les pierres sont appareillées en grand ou moyen appareil par assises de hauteurs variables. Les moines se sont livrés à un jeu de patience subtil : il fallait classer les blocs d’une même assise ayant une hauteur similaire. On les laissait parfois en bossage, le parement saillant demeurant brut. Ces types d’appareils sont dans la tradition de l’opus quadratum romain et gallo-romain. Les pierres étaient retouchées au moment de la pose pour que le joint soit le plus mince possible.
La dureté et la compacité de la pierre contrastent avec la finesse de la taille. L’aspect lisse et poli de la pierre est parfois frappant, surtout au niveau du chevet. La valorisation du sanctuaire se fait par la qualité de la mise en œuvre des matériaux. On assiste vraiment à la rencontre entre la rudesse et le raffinement. Rien ne vient perturber l’impression d’égalité des surfaces ni la pureté des lignes. La suppression de toute distraction visuelle superflue est parfaitement illustrée.