Les témoignages sur le parcours des anciens élèves de l'école ne manquent pas, notamment à travers les autobiographies et biographies des personnalités qui en sont issues, mais aussi à grâce aux enquêtes et entretiens menés dans le cadre de travaux de recherche de grande ampleur, tels ceux de l'historien Jean-Hervé Jézéquel, qui soutient en 2002 une thèse intitulée Les « mangeurs de craies » : socio-histoire d'une catégorie lettrée à l'époque coloniale : les instituteurs diplômés de l'école normale William-Ponty (c.1900-c.1960) ou ceux du sociologue Boubacar Ly publiant en 2009 une somme en six volumes, L'école et les instituteurs. Les instituteurs au Sénégal de 1903 à 1945, dont le troisième est particulièrement axé sur la formation.
La fierté des lauréats et leur sentiment d'appartenance à un corps d'élite, renforcé par le port de l'uniforme et des écussons, le partage de loisirs communs à travers le sport, la musique, le théâtre ou le scoutisme, ne font aucun de doute. Avec le recul, la longue liste des écrivains de renom (Abdoulaye Sadji, Ousmane Socé Diop) ou des hommes politiques de premier plan qui y effectuèrent leur scolarité, accroît encore la satisfaction d'avoir été formé dans cette « pépinière » d'exception – une formule qui a fait flores.
Pourtant les déceptions n'ont pas manqué. Coupé de ses pairs, l'instituteur fraîchement émoulu de l'école commençait souvent sa carrière dans un village de brousse où il ne bénéficiait pas de la considération qu'il escomptait au terme de trois années de formation. Son diplôme de fin d'études n'est pas reconnu en métropole. Lorsqu'il ne devient pas instituteur et qu'il n'a pas eu la possibilité, comme une infime minorité, de poursuivre ses études en France, il reste cantonné dans un emploi de cadre moyen.
Certaines voix, comme celle du critique béninois Guy Ossito Midiohouan, vont beaucoup plus loin pour dénoncer le rôle joué par l'école.
Confrontés à ces insatisfactions, les instituteurs développent des stratégies de repositionnement assez variées. Certains restent très attachés à leur idéal de lettré, beaucoup prennent des distances, d'autres reconvertissent dans les affaires ou entrent en politique. L'apparition d'un nouvel espace public entre les deux guerres leur fournit un terrain de mobilisation sociale au sein d'un « réseau des instruits », d'un communauté de « lectures partagées ». Particulièrement actifs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils ne constituent cependant pas un groupe d'intérêt politique homogène au moment d'aborder les luttes pour les indépendances.