« Il peut paraître surprenant de rédiger une recommandation pour la pratique clinique pour un geste aussi simple et aussi courant que l’épisiotomie, le plus fréquemment réalisé en salle d’accouchement en dehors de la section du cordon ombilical ! En fait, depuis la première incision chirurgicale du périnée d’une parturiente réalisée en 1742 par Felding Ould, l’épisiotomie a connu des fortunes diverses. Sans en refaire l’historique, ce n’est que très progressivement qu’elle a connu un engouement tel que certains n’hésitaient pas à la pratiquer de façon systématique pour l’accouchement de la primipare. La sonnette d’alarme a été tirée par une première revue de la littérature, de 1860 à 1980, publiée en 1983 par Thacker et Banta : aucune étude véritablement rigoureuse comparant risques et bénéfices de l’épisiotomie prophylactique n’avait jamais été réalisée. Mais le premier réquisitoire vraiment structuré contre l’utilisation large de l’épisiotomie a été développé dans une revue très complète de Robert Woolley en 1995. »
— Prof. Bernard Jacquetin, Président du Groupe de Travail du CNGOF. Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction, Vol 35 - N° S1 - Février 2006, p.7.
Suite à la campagne d’information menée par une association française (Semaine mondiale pour l’accouchement respecté, 10-16 mai 2004), le collectif CIANE a écrit au Ministre de la Santé, le 2/07/2004, pour demander une saisine de l'ANAES (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) au sujet de l'épisiotomie. Cette initiative a bénéficié du soutien de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).
Lors de la première réunion du Comité technique « Périnatalité » à la Haute autorité de santé (HAS, qui remplace l’ANAES), le 24 mai 2005, le Comité technique s’est prononcé à l’unanimité pour retenir le thème « Place de l’épisiotomie dans la pratique obstétricale » parmi les objectifs prioritaires du programme 2005 de recommandations de pratique clinique (RPC). (Le compte-rendu DBPPC/Programmation/CRP-NC/24/05/2005 rappelle que les demandeurs étaient le CIANE, la CNAMTS et le CNGOF.)
Par la suite, le CNGOF a pris l’initiative de travailler à l’élaboration d’une RPC en dehors du cadre de la HAS, mais plusieurs membres du CIANE ont été invités par le Professeur Michel Dreyfus à commenter les documents des rapporteurs. Le CIANE a donc constitué son propre groupe de travail qui, en accord avec les représentants des associations, a remis au CNGOF, en septembre 2005, un document de relecture.
En 2009, le comité de validation de la Haute autorité de santé a refusé de labelliser les recommandations du CNGOF.
Le Collectif d'usagers s'est déclaré déçu par les conclusions de ces RPC partiellement contradictoires avec l'analyse de la littérature scientifique, ainsi que par l'objectif de réduire dans un premier temps le taux national à « 30 % d'épisiotomies », sachant que ce taux a été fixé arbitrairement par le CNGOF sans aucune justification scientifique : « (…) le taux global national devrait se situer en dessous de 30 % des accouchements par voie basse, pourcentage qui pourrait dans l’avenir continuer à s’abaisser s’il se confirme que cette politique de réduction a des conséquences positives, à l’image d’autres pays qui l’ont adoptée. »
Les taux d'épisiotomies sont en réalité bien inférieurs à 30 % dans les pays qui ont révisé systématiquement leur pratique : environ 13% au Royaume-Uni et moins de 6% en Suède. En France, « le taux varie d’une région à une autre, d’une population à une autre, d’un établissement à un autre et même d’un opérateur à un autre. (…) “Depuis 1994, mon taux d’épisiotomie est à 0”, se flatte Jack Mouchel, gynécologue-obstétricien à la clinique du Tertre-rouge (Le Mans) ».
Pour évaluer le bénéfice escompté d'un taux national de 30 %, il est instructif de comparer deux études menées sur plus de 10 000 accouchements, à la même époque, avec des taux moyens d'épisiotomies proches de 34 % (de Leeuw, aux Pays-Bas) et de 4% (Rockner, en Suède).
Étude | Épisiotomies | Déchirures sévères | ||
---|---|---|---|---|
nullipares | multipares | nullipares | multipares | |
de Leeuw (Pays-Bas, 2001) | 34% | 2,7% | 1,3% | |
Rockner & Fianu-Jonasson (Suède, 1999) | 6,6% | 1% | 2,3% | 0,6% |
Les taux de déchirures sévères dans ces deux études sont équivalents. Ce n’est donc pas l’épisiotomie qui protège le périnée. Deux explications possibles :
L’échantillon statistique de de Leeuw et collègues est effectivement très hétérogène, regroupant toutes les maternités et les accouchements à domicile. Comme le montrent d’autres auteurs cités dans le même article, cela se traduit par des résultats très dispersés selon les maternités.
La pratique hollandaise et la pratique suédoise sont également assez différentes. La seconde est particulièrement respectueuse du mécanisme physiologique de l'accouchement, n’imposant pas à la parturiente une position pour accoucher, ni l’immobilité pendant le travail, et ne faisant appel aux médicaments et à la gestion active du travail que dans les cas réellement pathologiques.
En 2003, le CHU de Besançon faisait 19% d'épisiotomies, un pourcentage déjà peu élevé par rapport à la moyenne nationale de 47%. Il passe à 10% après la publication des recommandations pour la pratique du CNGOF en 2006, pour atteindre 3,4% désormais [en 2007] ! [...] Ces pratiques nouvelles n'ont pas augmenté le taux de déchirures du troisième et quatrième degré. "Notre pratique est reproductible", estime le professeur Maillet [(chef de service de la maternité du CHU de Besançon)]. Et sans attendre des années, pourrait-on ajouter. La prudence du CNGOF, qui estimaient que le taux de 30% préconisé au niveau national pourrait baisser si les conséquences de cette politique de réduction étaient positives, n'est donc plus de mise. On peut désormais plaider moins de 5% d'épisiotomie. Non seulement c'est possible, mais c'est surtout nettement moins délétère pour les femmes !