Fondée en 1992, la Reconstruction Posturale est la seule à être enseignée à l’Université. À ses débuts, cette école avait pour ambition de retransmettre le plus fidèlement possible l’enseignement de Mézières. Mais rapidement, l’interdisciplinarité du milieu universitaire ouvrit de nouveaux horizons tout en obligeant à une rigueur scientifique qui n’avait pas cours dans l’entourage de Françoise Mézières. Si bien que, 15 ans après, l’observateur extérieur ne distingue, dans la Reconstruction Posturale, que les vestiges de l’œuvre originelle. Dérive ou évolution ? Il reste que les reconstructeurs sont des kinésithérapeutes triés sur le volet qui s’astreignent, après un cursus de trois ans, des examens et un mémoire d’université, à revalider annuellement leur diplôme. Ces examens de recertification sont le ticket d’entrée pour pouvoir intégrer le Collège International des Praticiens de Reconstruction Posturale et figurer sur l’annuaire des praticiens agréés. Cette démarche avant-gardiste, unique dans le paysage médical, reflète le respect pour les patients et témoigne de la difficulté d’une méthode complexe et délicate.
On reproche à Mézières de généraliser facilement une observation à l’ensemble de l’espèce. Ainsi de son observation princeps : ce qu’elle a observé en 1947, pouvait-il être transposé à l’ensemble de l’espèce humaine, dans tous les cas de figure ? Mézières fonctionne à l’intuition. Certains disent que tel était son génie. D’autres, affirment que c’était sa faiblesse. Il est vrai que cette procédure n’est pas compatible avec la démarche scientifique et avec la recherche médicale pour laquelle « la force de la preuve » fait loi. Son hypothèse quant à la douleur est battue en brèche par certaines observations. Exemple : si la douleur est provoquée par une déformation, comment expliquer que, pour la lombalgie, il n’a jamais été possible de corréler la douleur lombalgique avec une quelconque déformation corporelle. Son explication quant aux résultats obtenus est contestée : elle prétend que si les patients vont mieux c’est qu’on a étiré leurs chaînes musculaires. Mais de nombreux scientifiques s’inscrivent en faux. Ils montrent qu’il est impossible d’étirer des muscles sur le vivant. La sensation de tension lors des étirements n’est due qu’à la mise en tension des fascias (tissu d’enveloppe des muscles, très richement innervé). Si résultats il y a (ils n’ont jamais été objectivés de manière scientifique), ils seraient donc dus à autre chose qu’à l’improbable étirement musculaire.
Si l’on s’accorde à créditer Mézières d’un don d’observation exceptionnel, si on la qualifie volontiers de visionnaire, il est évident que l’organisation et la pédagogie auraient pu être mieux gérées. Du fait de l’absence de contrôle des connaissances et de diplôme, il y a pratiquement autant de compréhensions différentes de son message qu’elle a eu d’élèves. Dès lors, quoi d’étonnant que ce foisonnement d’écoles parallèles où se côtoient le meilleur et le pire. Le déficit d’écrits n’arrange rien et, les années passant, le message semble connaître des distorsions majeures (séances de groupe, musculation, travail de l’inspiration, apprentissage de la bonne posture, travail sur table). Pour le patient, comme pour le prescripteur, il devient difficile de faire la part des choses et de savoir si tel thérapeute qui se dit « mézièriste » est ou n’est pas dans la droite ligne de l’enseignement du maître disparu. Si bien que nombreux sont ceux qui expliquent que la seule personne à avoir jamais fait du Mézières est… Mézières elle-même.
Il est aussi fait grief à Mézières de son aura de gourou et du caractère sectaire de son enseignement. Même si elle a tout d’une ascèse, sa méthode n’a pourtant rien de mystique ou d’ésotérique : simplement une manière pertinente d’envisager la mécanique humaine. Il est cependant exact que, durant quelques années, il fallait être parrainé pour prétendre suivre son enseignement. De même, il n’est pas niable que, pendant un temps, elle faisait signer aux stagiaires un engagement à pratiquer sa méthode à l’exclusion de toute autre. Ce comportement qui peut choquer n’était, pour elle, qu’une tentative désespérée pour préserver son œuvre, pour protéger les patients contre le dilettantisme et l’esprit mercantile qu’elle exécrait et qui l’assiégeaient. C’est en voulant éviter Charybde qu’elle se précipita dans Scylla. Elle condamna toutes les écoles parallèles pour cause de dérives, qui vers la kinésithérapie classique, qui vers la psychologie bon marché ou des techniques qui avaient le vent en poupe comme l’ostéopathie. Nonobstant, quelques associations et officines se réclament encore de « l’esprit de la méthode Mézières ».