Des chercheurs de l'Institut Pasteur et du CNRS viennent pour la première fois de démontrer que certains virus sont capables de se regrouper pour constituer des structures complexes similaires aux biofilms bactériens. Ces formations, qui assureraient une protection des virus face au système immunitaire, leur permettent une dissémination très efficace de cellule à cellule. Les "biofilms viraux" constitueraient un mode de propagation majeur pour certains virus. Ils apparaissent donc comme de nouvelles cibles thérapeutiques particulièrement intéressantes.
Des chercheurs de l'Institut Pasteur et du CNRS dirigés par Maria-Isabel Thoulouze et Andrés Alcover, au sein de l'unité de Biologie cellulaire des lymphocytes, en collaboration avec Antoine Gessain de l'unité d'Epidémiologie et physiopathologie des virus oncogènes, et avec l'Imagopole, viennent de mettre en évidence, pour la première fois dans le monde viral, des structures de types "biofilms", formées par le rétrovirus HTLV-1 à la surface des cellules qu'il infecte. Il s'agit d'agrégats de virus et de matrice extracellulaire riche en sucres, sécrétée par la cellule, et dont la synthèse est commandée par le génome du virus, intégré dans le génome cellulaire.
Le virus HTLV-1 (virus de la leucémie humaine des cellules T du type 1) est le premier rétrovirus humain à avoir été isolé, en 1980, trois ans avant la découverte du VIH, rétrovirus responsable du sida. Il infecte quinze à vingt millions de personnes dans le monde, et est à l'origine de pathologies diverses, de la leucémie/lymphome T de l'adulte à des formes de neuromyélopathie (paraparésie spastique tropicale) ou à d'autres syndromes inflammatoires chroniques, comme les dermatites infectieuses, des uvéites ou des myosites. On savait déjà que la transmission de ce virus dans l'organisme de l'hôte infecté se faisait uniquement par contact de cellule en cellule, mais le mécanisme de cette transmission restait encore inexpliqué.
Au sein du biofilm, véritable manteau protecteur et adhésif, HTLV-1 se transmet beaucoup plus efficacement qu'à l'état libre et unitaire. En éliminant le biofilm viral de la surface des cellules infectées, les chercheurs ont en outre réduit de 80% le taux d'infection, soulignant ainsi l'importance que représente ce mode de transmission pour HTLV-1.
Chez les bactéries, les biofilms sont déjà connus depuis longtemps. Sur l'émail de nos dents, ils forment la plaque dentaire. On en trouve également dans les installations industrielles, au sein de notre propre flore intestinale. Lorsqu'ils colonisent les implants médicaux, comme les prothèses ou les cathéters, ils peuvent être source d'infections à répétition. Pour ces raisons, les biofilms bactériens font l'objet de nombreuses recherches visant à limiter leur développement et à les rendre perméables aux traitements anti-bactériens.
Les scientifiques cherchent à présent à caractériser les mécanismes de production de ces biofilms viraux, et à déterminer si d'autres virus que HTLV-1 forment de telles structures. Pour les virus formant de tels biofilms, il serait intéressant de redessiner des stratégies thérapeutiques anti-virales, qui viseraient non seulement le virus lui-même, mais la formation de ces biofilms viraux.