Une cité ouvrière est un « ensemble concerté d’habitat ouvrier, généralement monofamilial » selon la définition usitée par les services de l'Inventaire du patrimoine culturel. Elle constitue, à l’origine, une zone essentiellement résidentielle exclusivement destinée aux ouvriers d’une même usine et à leur famille. Elle peut être accompagnée d’équipements collectifs. Dans la plupart des cas, elle est mise à disposition par le patron de l’usine.
La révolution industrielle du XIXe siècle entraîne la concentration de populations souvent étrangères à la région où elles sont contraintes de s'installer. Ces nouvelles populations ouvrières, venues de régions ou de pays éloignés, doivent donc être rapidement logées à proximité de leur lieu de travail. Il faut dire qu’il existe alors un véritable problème de logement auquel doit faire face la France notamment. Un certain nombre de rapports célèbres remontant à la première moitié du XIXe siècle rendent compte des déplorables conditions de vie des ouvriers en France (rapports du Docteur Guépin, du docteur Villermé, d’Auguste Blanqui, de Victor Considérant). Ces rapports sont à l’origine d’une véritable prise de conscience des intellectuels de l’époque comme de certains grands patrons.
Certains capitaines d’industrie mènent en effet une politique « paternaliste » envers leur main-d’œuvre. Il s’agit de prendre en charge chaque instant de la vie de l’ouvrier, pour assurer son bien-être, mais aussi pour mieux le contrôler. Ces patrons sont durablement marqués par les théories de Saint-Simon (1760-1825), qui préconisent une attitude éclairée des nouvelles élites capitalistes. L’idée de Saint-Simon est d’instituer un « nouveau christianisme » dont les fondements seraient la science et l’industrie, et l’objectif la plus grande production possible. Dans un tout autre domaine idéologique, Charles Fourier (1772-1837), un des précurseurs du socialisme, imagine dans son ouvrage Théorie de l’unité universelle, le phalanstère : une organisation d’ouvriers vivant et travaillant en coopérative. D'autres mouvements d'idées inspirent aussi au développement de ces cités, mouvements aussi divers que le catholicisme social et le courant hygiéniste, promus notamment par Adolphe Burggraeve, Frédéric Japy.
Ces théories s’inspirent aussi de projets plus proprement architecturaux développés dès le XVIIIe siècle, et notamment de Claude-Nicolas Ledoux et son projet d'Arc-et-Senans.
Créer une cité ouvrière à proximité de son usine n’est pas simplement une œuvre philanthropique. C’est avant tout un calcul de rentabilité du travail. Elle permet en effet de garder à proximité du lieu de production une population réputée très mobile et ainsi de conserver le plus longtemps possible les bénéfices d’une main-d’œuvre généralement très qualifiée. Cette population est attirée par des logements confortables, mais aussi par de nouveaux équipements financés par le patron : dispensaires, cinémas, stades, etc. C’est un moyen de contrôler la vie de l’ouvrier, en orientant totalement sa vie dans et hors de l’usine, du berceau jusqu’à la maison de retraite.
C’est aussi une image de marque pour ces entreprises. Dans un très grand nombre de brochures de réclame, l’action sociale de la société est mise en avant et le fait que celle-ci offre de bonnes conditions de logement et de vie quotidienne à ses employés semble un argument de vente pour de nombreuses entreprises.
Cependant, ces solutions sociales, au-delà de l’affichage publicitaire, restent très ponctuelles et limitées. Dans la majorité de ces exemples, la totalité des ouvriers de l’usine ne bénéficie pas de telles conditions de logements ni de facilités quotidiennes. Cela concerne même parfois uniquement une minorité. Au sein même des employés bénéficiant de ces privilèges, une distinction sociale et géographique est faite entre d’un côté les cadres, ingénieurs ou contremaîtres bénéficiant de logements spacieux, souvent indépendants et sur de grands terrains et de l’autre les simples ouvriers, logés dans des habitats plus modestes.
Par ailleurs, un tel contrôle social est vu de plus en plus négativement par les classes populaires au cours du XXe siècle. Celles-ci aspirent à la propriété individuelle et à une amélioration de leur condition sociale, au-delà de leurs simples conditions sanitaires. Malgré le contrôle strict des dirigeants patronaux, une telle concentration de populations ouvrières permet, paradoxalement, une meilleure organisation syndicale des ouvriers dans la première moitié du XXe siècle. Ce sont ces mêmes ouvriers qui deviennent souvent les fers de lance des grandes grèves de 1936 en France.
Ce type d’urbanisation, à l’instigation d’un patron, va se prolonger jusque dans les années 1960, car la pénurie de logements sociaux se fera sentir pendant les deux premiers tiers du siècle dernier. C’est donc toujours aux entreprises d’assurer le logement de leurs employés. On trouve ainsi un grand nombre de cités construites par les compagnies de chemin de fer ou d’électricité. Mais bien souvent, ces cités se limitent à l’aménagement de logements, sans les équipements urbains complets que l’on peut trouver dans les exemples de Noisiel.