Corda Fratres - Définition

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Vers une renaissance de la Corda Fratres ?

La place laissée par la Corda Fratres première organisation mondiale festive et fraternelle étudiante, première société festive et carnavalesque universelle est restée vide après sa disparition et son oubli. En 1998, cherchant à renouer les liens anciens entre le Piémont et le Carnaval de Paris, Basile Pachkoff rencontre à Turin Pietro Crivellaro, directeur du Centre d'études du Theâtre Stabile. Par lui il fait la connaissance en 2003 de Marco Albera. Le projet de liens carnavalesques entre le Piémont et Paris va alors s'élargir à celui de la renaissance des liens entre sociétés festives et fraternelles étudiantes du monde dans le cadre du Carnaval de Paris. Des contacts sont pris avec la Goliardia de Turin. Ils aboutissent finalement et les Italiens viennent à Paris commémorer le centenaire de la participation italienne aux fêtes de la Mi-Carême 1905. Ils participent à la Promenade du Bœuf Gras 2005 avec des étudiants du Comité national des étudiants des Beaux-Arts d'Italie, dont le siège est à Bologne. À cette occasion un traité festif franco-italien est signé sur l'Hôtel de ville de Paris.

En 2006-2007, un appel de Basile Pachkoff à la renaissance de la Corda Fratres en lien avec la renaissance du Carnaval de Paris est entendu, en particulier par des Tunas. Plusieurs d'entre elles manifestent leur désir de soutenir le projet de renaissance de la Corda Fratres en participant au Carnaval de Paris 2007. Mais les difficultés matérielles empêchent les participations projetées espagnoles, portugaises, chilienne et colombienne (Tuna de la Fundación Juan Nepomuceno Corpas de Bogota).

Il existe aujourd'hui deux associations festives se réclamant d'une filiation morale avec la Corda Fratres : en Italie l'Ordo Clavis Universalis (Ordre Universel de la Clef), organisation de la Goliardia de Pavie et en France l'association festive féminine parisienne Cœurs-Sœurs qui organise la Fête des Blanchisseuses.

La redécouverte de la Corda Fratres

Après sa disparition ou dislocation s'abat un oubli complet sur la Fédération. Cet oubli est favorisé par la forte politisation du mouvement étudiant organisé qui touche de nombreux pays en 1968 et au début des années 1970. Pour les étudiants fortement politisés de l'époque, la neutralité, l'apolitisme, le rassemblement général corporatif joyeux, insouciant et festif sont antinomiques à leurs conceptions. Ils récusent ces valeurs qui ont caractérisé et fait l'originalité et la force de la Corda Fratres. En particulier dans les milieux étudiants d'extrême gauche les étudiants qui se déclarent « apolitiques » sont considérés comme des étudiants de droite déguisés. Les organisations festives étudiantes traditionnelles comme la Faluche ou la Goliardia acceptant dans leurs rangs des étudiants de toutes opinions sont stigmatisées comme « fascistes » par les étudiants d'extrême gauche. Apparaît alors en France la pratique du vol des faluches considérées comme « trophées » par certains adversaires du mouvement faluchard. Depuis cette époque, les faluchards ont pris l'habitude de relier leur faluche à un solide cordon fonctionnel et décoratif.

En Italie, la fable attribuant un caractère fasciste à la Goliardia, société festive et fraternelle aux origines précédant de huit siècles la naissance de Benito Mussolini faillit avoir des conséquences tragiques. Au début des années 1970, menacées de mitraillages par les Brigate rosse (Brigades rouges), les fêtes goliardes se sont retrouvées obligées de solliciter et ont obtenues la protection de la présence de policiers en armes. Cette situation a été vécue comme un très grand traumatisme par les étudiants festifs italiens de l'époque.

Cependant, l'oubli complet de la Corda Fratres durant des dizaines d'années n'est pas une simple conséquence « mécanique » d'évènements et évolutions. Il est aussi organisé. Dans les années 1960, par exemple, la puissante Union internationale des étudiants-UIE fondée en 1946 se targue d'être la première organisation internationale étudiante née dans le monde, suite aux manifestations étudiantes antinazies de Prague durant l'occupation allemande en 1939 et à la mort tragique de l'étudiant tchèque Jan Opletal. Cette filiation politique prestigieuse faisant fi de l'existence de la Corda Fratres qui a précédé l'UIE.

Pour diverses raisons, le souvenir de la Fédération internationale fondée en 1898 dérange. Elle est rarement évoquée. Quelquefois pour la qualifier d'« organisation de jeunesse de la Franc-maçonnerie ». Ce qui est doublement absurde. La Franc-maçonnerie, organisation discrète mais pas secrète est suffisamment connue pour savoir qu'elle n'a jamais eu d'organisation de jeunesse et les buts de la Corda Fratres, s'ils ne sont pas contradictoires à ceux de la Franc-maçonnerie ne s'identifient pas à ceux-ci. Il y avait des adhérents Franc-maçons dans la Corda Fratres. Il y en a également dans d'autres organisations, le Rotary Club, par exemple, qu'on ne qualifie pas pour autant d'« organisation Franc-maçonne ». En fait, certains commentateurs hostiles à la Franc-maçonnerie traitent systématiquement de « Francs-maçonnes » toutes les organisations qu'ils critiquent et dont ils ont du mal à cerner les contours. Il s'agit d'une sorte d'anathème laïc qui sous-entend sans précisions particulières qu'on a à faire à quelque chose d'obscur, mystérieux, clandestin, inquiétant, malhonnête et dangereux. La Corda Fratres étant largement oubliée dans le reste du monde, l'abusive réputation franc-maçonne de la Fédération fondée en 1898 se rencontre aujourd'hui essentiellement en Italie. Elle est alimentée à l'occasion par des polémiques politiques concernant un cercle culturel de la ville de Barcellona Pozzo di Gotto, dans la province de Messine. Ce cercle, créé en 1944, porte le nom de Corda Fratres et se réclame d'une filiation morale avec la Corda Fratres d'Efisio Giglio-Tos.

Une raison possible de l'oubli volontaire de la Corda Fratres est de la considérer, comme les autres sociétés festives et fraternelles comme peu importantes, indéfinissables, immatures. En les opposant aux organisations politiques, syndicales, religieuses ou humanitaires « sérieuses », s'occupant d'« affaires sérieuses » et de ce fait dignes de considération. Le progrès et l'avenir des sociétés festives et fraternelles quand elles existent devant être leur disparition ou mutation en organisation politique, syndicale, religieuse ou humanitaire.

Une Tuna contemporaine : la Tuna de la faculté de droit d'Alicante (Espagne) en 2005.

L'UNAGEF créée en 1907 par des membres de la Faluche dissidents de la Corda Fratres porte la marque de cette dernière. Les membres de la Faluche qui rejoignent la Corda Fratres avant 1907 adhèrent à une « Fédération internationale des étudiants » alors que n'existe pas encore une organisation nationale des étudiants de France. La filiation entre la Corda Fratres de 1898 et l'UNAGEF de 1907 est évidente. L'UNAGEF connait une histoire remplie de mutations. L'UNEF syndicat étudiant né en 1946 qui se proclame en 2007 centenaire et héritière de l'UNAGEF n'est plus l'organisation d'origine.

Les mutations des organisations étudiantes, fruits d'évènements divers comme la guerre, l'Occupation et la Résistance, s'expliquent aussi par la volatilité du milieu étudiant. Au bout de dix ans, la totalité des étudiants est renouvelée. Il s'agit d'un milieu différent du précédent. On ne retrouve pas dans les organisations étudiantes le même phénomène que dans un parti politique, un syndicat, une église ou une organisation humanitaire où la carrière d'un leader peut durer quarante ans. Les anciens peuvent être invités dans les organisations étudiantes, ce ne sont pas eux les dirigeants.

L'existence des sociétés festives et carnavalesques ne s'oppose pas à celle d'églises, syndicats, partis politiques ou organisations humanitaires. La prétention à les opposer et vouloir ignorer, condamner ou éliminer les premières au nom de l'existence des secondes rejoint un autre propos. Celui qui affirme qu'il est indécent et scandaleux d'organiser une fête quand au même moment des gens souffrent. En 1919 une campagne d'affiches anonymes était faite à Dunkerque dénonçant la renaissance du Carnaval de la ville au nom du respect de la souffrance des familles endeuillées par la Grande Guerre. Le Carnaval repris quand même. Renoncer à la fête n'a jamais empêché les guerres ou effacé les deuils. Dans les années 1990, un prêtre de Venise répondait aux adversaires de la fête que faire Carnaval lui donnait des forces pour s'occuper des malheureux.

Les organisations festives et fraternelles participantes de l'Histoire de la Corda Fratres subissent également un traitement particulier. Quantité de publications consacrées à la vie universitaire font comme si elles n'existaient pas. Certains dictionnaires espagnols contemporains donnent pour définition de la Tuna : « petit orchestre d'étudiants » et oublient complêtement le caractère organisé et très ancien des Tunas. Un monumental ouvrage italien actuel sur l'histoire de l'université de Bologne expédie en une ligne et demie les fêtes historiques étudiantes pour le 800e anniversaire en 1888 et ne mentionne nulle part la Goliardia, qui apparait incidemment sur deux photos où on distingue des étudiants portant le chapeau goliard, sans précisions pour expliquer ce que c'est. La Faluche n'est pratiquement jamais évoquée dans la presse française, si ce n'est quelquefois de façon caricaturale et péjorative en soulignant l'appartenance à celle-ci à un moment-donné d'une personnalité politique controversée. Les sociétés festives et fraternelles étudiantes traditionnelles connaissent le sort général des sociétés festives et carnavalesques dont les médias ne parlent autant dire jamais. Combien connaissent les liesses gigantesques des Carnaval de Cologne ou Dunkerque et ont entendu parler des nombreuses sociétés festives et carnavalesques qui en assurent la réussite en les préparant toute l'année ?

Beaucoup de personnalités connues ont pourtant fait partie durant leur vie étudiante des Tunas, de la Faluche, la Goliardia, les Burschenschaften ou autres associations similaires. Mais rappeler quand on a un poste important, un rôle politique, que jadis on a passé plusieurs années à faire la fête, chanter des chansons paillardes et faire des farces en compagnie d'autres que leur chemin a conduit, par exemple, à l'autre bout de l'échiquier politique, ne serait pas forcément compris et approuvé par le public.

Les sociétés festives et fraternelles étudiantes se veulent aussi neutres politiquement que la Sécurité sociale, par exemple. Si un cotisant de droite ou de gauche est malade et remboursé de ses frais par la Sécurité sociale, il ne vient pas à l'idée de qualifier celle-ci d'organisme de droite ou de gauche. Admettre une telle réalité devient nettement plus difficile pour des personnes extérieures s'agissant d'organisations de jeunesse étudiante où l'on se retrouve, chante, boit, rit, fait la fête ensemble. Surtout quand on y relève la présence de personnes particulièrement controversées. Les organisations festives et fraternelles d'étudiants allemands en feront largement les frais, ayant conservés dans les rangs de leurs anciens des nazis avérés. De là à qualifier ces organisations de nazies, il n'y a qu'un pas. Un autre reproche fréquent fait aux organisations étudiantes allemandes concerne la tradition, qui n'est pas générale, du duel au sabre. Les participants recherchant des balafres au visage témoignants de leur « courage ». Cependant, résumer l'organisation traditionnelle étudiante allemande à cela ou encore aux dérives antisémites qu'ont connues ces associations est tout à fait réducteur. La réalité est souvent plus complexe. Ainsi par exemple, au début du XXe siècle, cohabitent au sein de la Corda Fratres une importante section roumaine antimagyare et antisémite et une importante section hongroise ainsi qu'une section juive parisienne sioniste.

La redécouverte de la Corda Fratres s'est effectuée en deux étapes distinctes. Marco Albera, historien et collectionneur turinois, ancien de la Goliardia, s'est passionné durant des années pour l'histoire des fêtes et de la fraternité étudiantes. Ayant collecté une masse de documents notamment sur la Corda Fratres, il les a ensuite mis à la disposition d'un historien habitant la région de Turin, le professeur Aldo Alessandro Mola. Sans l'énorme travail préliminaire de Marco Albera celui-ci n'aurait rien pu écrire. Rédigé grâce à cette documentation, le premier ouvrage sur l'histoire de la Corda Fratres est paru en 1999, édité par le Musée des étudiants de l'université de Bologne et préfacé par Fabio Roversi-Monaco Recteur de l'université de Bologne.

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