La Corda Fratres - Fédération internationale des étudiants appelée aussi : Corda Fratres - F.I.D.E. ou simplement Corda Fratres est une organisation internationale, ni politique, ni religieuse, festive et fraternelle d'étudiants fondée à Turin le 15 novembre 1898.
Son président-fondateur est Efisio Giglio-Tos (1870-1941) président de l'Associazione Universitaria Torinese (Association Universitaire Turinoise) appelée aussi AUT.
Corda Fratres signifie en latin les Cœurs Frères.
Première association internationale festive et fraternelle du monde, la Corda Fratres - Fédération internationale des étudiants, créée en 1898, prospère jusqu'aux années 1914-1915, comptant jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d'adhérents répartis sur les cinq continents. Ses quatre plus importantes sections sont la française, l'hongroise, l'italienne et la roumaine. La langue officielle de l'association, choisie à l'initiative des Italiens, est le français.
Après la Grande Guerre, la Fédération décline, victime de faiblesses internes et des conséquences de la dictature fasciste (la principale section de la Corda Fratres est sa section mère italienne). Après la chute du fascisme, une tentative est faite en Italie pour faire renaître la section italienne de la Corda Fratres. Elle bute sur des problèmes politiques et s'achève sur un échec en 1948.
La Corda Fratres - Fédération internationale des étudiants n'a pas ensuite de successeur et est oubliée jusqu'en 1999, date de la parution du premier livre consacré à sa riche histoire.
La Corda Fratres a démontré effectivement, en dépit de ses faiblesses, que créer un mouvement mondial festif et fraternel, ni politique, ni religieux est une entreprise réalisable. À condition de souhaiter s'y investir, comme l'a fait jadis Efisio Giglio-Tos.
À l'origine de la Corda Fratres se trouvent deux évènements. Le premier est bolognais. Il s'agit du premier Congresso Nazionale ed Internazionale degli Studenti Universitari (Congrès National et International des Étudiants Universitaires), organisé sous l'égide du poète Giosuè Carducci : une grande fête internationale organisée en juin 1888 pour le huit centième anniversaire de l'Alma Mater Studiorum, l'université de Bologne, la plus ancienne d'Europe. À cette occasion se rassemblent de nombreuses personnalités, au nombre desquelles le roi, la reine et le prince héritier d'Italie. L'évènement est relaté dans la presse.
À cette fête se remarquent surtout les nombreux étudiants italiens ou venus d'autres pays. Ces jeunes se distinguent par leurs tenues originales et pittoresques propres au folklore estudiantin traditionnel et à leurs associations festives et fraternelles. Les Italiens portent la tenue de la Goliardia, les Espagnols celle des Tunas, les Allemands et Suisses la tenue avec une casquette, celle-ci de modèles variés, etc. La délégation française, mandatée tout à la fois par l'Association générale des étudiants de Paris et le Président de la République Sadi Carnot est venue habillée en bourgeois, comme les étudiants parisiens de cette époque. Effarés de détonner et paraître misérable au milieu de cette foule bigarrée, les Français adoptent une nouvelle tenue distinctive : le port d'un béret en velours noir, la faluche. La faluche sera propagée en France après leur retour de Bologne. Curieusement, les journaux parisiens de ces années-là parlent souvent de l'Association générale des étudiants de Paris-AGEP, appelée familièrement l'« A » comme d'autres Associations générales d'étudiants, mais ne disent rien à propos de la Faluche. Ils parlent de son béret comme d'un chapeau folklorique étudiant, jamais comme le signe d'appartenance à une organisation.
Le deuxième évènement à l'origine de la Corda Fratres est parisien. En 1889 un congrès universitaire se tient à Paris pour le centenaire de la Révolution française. À l'occasion de ce congrès, un étudiant italien publie une lettre dans le Réveil du Quartier Latin, où il lance le premier la proposition de créer une Fédération internationale des étudiants. Il est entendu et le 10 août 1889 se tient à Paris une conférence à laquelle participent des étudiants de nombreuses universités européennes, en particulier belges, françaises et italiennes. La conférence s'achève par la décision de « constituer une association internationale de la jeunesse universitaire sous le nom de Fédération des Étudiants ».
En 1891, est formulé à Gand le souhait qu'un comité international fasse naître une telle fédération « dans un but libéral et fraternel ». Ce souhait est par la suite formulé à Caen en 1894. La même année, Efisio Giglio-Tos président de l'Association Universitaire Turinoise commence à se passionner pour le projet de créer une fédération internationale. À Debrecen en 1895 est proposé qu'un congrès international donne vie à la Fédération et se tienne à Budapest dans le cadre de la commémoration du millième anniversaire de la capitale hongroise en 1896. Ce congrès finalement n'a pas lieu.
L'année d'après, le 9 avril 1897, Efisio Giglio-Tos qui a réfléchi à la structure et aux statuts de la Fédération internationale demande à l'étudiant turinois Gino Masi d'intervenir à ce propos au quatrième congrès national des étudiants italiens qui se tient à Pise. Le congrès charge Efisio, qui est absent, de constituer en 1898 la Fédération internationale. La Corda Fratres va naître à l'occasion du cinquantième anniversaire du Statuto Albertino (Statut albertin) de 1848. Efisio Giglio-Tos envoie 50 000 invitations adressées aux universités du monde entier et fait coïncider la fondation de l'association avec l'Esposizione Nazionale Italiana di Torino (Exposition Nationale Italienne de Turin), qui offre l'opportunité de disposer de locaux, réductions sur les prix des billets de chemins de fer et hébergements. Il cherche à recolter le soutien des rares étudiants italiens encore en vie ayant participé aux évènements de 1848. Entre autres le rejoint immédiatement Costantino Nigra ancien de 1848 et ambassadeur d'Italie à Vienne. Au nombre des étudiants anciens de 1848 qui soutiendront Efisio Giglio-Tos on trouve également le sénateur Bartolomeo Casalis, Vittorio Bersezio, le latiniste Battista Gandino, professeur à l'Université de Bologne et le général Alessandro Reyneri. Des ministres, des parlementaires, des personnalités culturelles de premier plan telles Arrigo Boito et Giuseppe Verdi soutiennent Efisio Giglio-Tos, ainsi que la Ligue des femmes pour le désarmement international dont le siège est à Paris. Le roi d'Italie Umberto I accepte la présidence d'honneur du congrès de fondation de la Corda Fratres.
La Fédération internationale des étudiants, fraternité basée sur un ideal élevé, en dehors des logiques géopolitiques des empires, voit le jour le 15 novembre 1898. À cette occasion Efisio Giglio-Tos rassemble autour de lui à Turin trois mille étudiants du monde entier. La Fédération prend pour emblême l'effigie de Minerve qui a la science pour patrie et pour devise les mots Corda Fratres, les cœurs sont frères. Le 21 novembre 1898 à Messine, le poète Giovanni Pascoli rédige son hymne. Après Turin, le congrès de fondation de la Corda Fratres se poursuit à Rome où la Fédération est proclamée le 24 novembre 1898, près de la colonne de Phocas, sur le forum romain.
Le premier Conseil Fédéral de Présidence de la Fédération Internationale des Étudiants, présidé par le Dottore Professore Efisio Giglio-Tos, comprend les représentants de neuf pays européens : Angleterre, Belgique, Bulgarie, France, Hollande, Hongrie, Italie, Roumanie, Suisse et deux pays d'Amérique : l'Argentine et le Nicaragua. Le vice-président belge, Adolphe Foucart, pose fièrement sur la photo officielle, la faluche sur la tête.
La Fédération recevra le soutien du ministre italien de l'Instruction publique, du Président de la République française, du ministre français de l'Instruction publique et des Beaux-Arts Georges Leygues et l'adhésion de Gabriele D'Annunzio, Angelo Fortunato Formiggini, Guglielmo Marconi et Giovanni Pascoli.
À l'époque, l'Italie ne compte qu'un peu plus de 20 000 étudiants en tout. Le succès de la Corda Fratres est très grand auprès d'eux : un tiers des étudiants italiens adhèrent à la Fédération.
Le deuxième congrès de la Corda Fratres a lieu à Paris, au moment de l'Exposition universelle, du 3 au 12 août 1900. Participent 109 délégations représentants 91 universités de 18 pays. Sur 888 délégués, 224 sont français et 664 viennent d'autres pays : Belgique, Danemark, Espagne, Grèce, Hongrie, Pays-Bas, Suède, Suisse. Interviennent également des étudiants de Russie et du Portugal. L'Allemagne est représentée par 25 délégués venus de 4 universités, l'Alsace par 9 délégués, l'Angleterre par 35 délégués de 5 universités, l'Italie par 45 délégués de 19 universités. Il y a des représentants de l'Australie, du Brésil, de l'Égypte, de l'Indochine... Seule exception : l'Autriche, se défiant d'une initiative déclarant placer les nationalités au cœur de l'Histoire.
Sous l'impulsion de J.Reveillaud, président de l'Association générale des étudiants de Paris, quatre nouvelles sections sont intégrées à la Corda Fratres à l'occasion de ce congrès : Bohème, Finlande, Pologne et une section juive parisienne. Cette dernière, dirigée par Léon Fildermann n'a d'abord pas de nom. Elle sera par la suite appelée « Section spéciale », puis plus tard « Section sioniste ».
Dans les mois qui suivent Efisio Giglio-Tos se consacre à la création ou au développement de nouvelles sections nationales et la naissance de nouveaux consulats de la Corda Fratres : sections polonaise, portugaise, suisse ; consulats à New York, au Danemark, en Australie, Finlande, Hongrie, Roumanie...
Après Turin-Rome 1898 et Paris 1900, Budapest est la ville choisie pour le troisième congrès de la Fédération qui doit avoir lieu en 1902. Il est interdit par le gouvernement qui voit à juste titre dans la Corda Fratres un mouvement prônant de fait l'éclatement de l'Autriche-Hongrie. Du 1er au 5 octobre 1902 environ 300 délégués tiennent à Venise une rencontre internationale, congrès substitutif au congrès manqué à Budapest. Le troisième congrès a finalement lieu en 1905 à Liège en Belgique.
En 1910, lors de leur quatrième convention, les Cosmopolitan Clubs des États-Unis décident de rejoindre la Corda Fratres.
En 1911, le septième congrès de la Corda Fratres a lieu à Rome du 1er au 6 septembre, en coïncidence avec la commémoration du cinquantième anniversaire de la naissance du Royaume d'Italie.
Le sommet du développement de la Fédération est atteint à la veille de la Grande Guerre. Le huitième congrès de la Corda Fratres a lieu pour la première fois aux États-Unis. Il est organisé du 29 août au 20 septembre 1913 à l'université Cornell d'Ithaca, New York, où se trouve un Cosmopolitan Club prospère présidé par Hu Shih. Le congrès est annoncé avec la photo du grand bâtiment de ce Cosmopolitan Club pages 50 et 51 du Cornell Alumni News (Les Nouvelles des Étudiants de Cornell, bulletin des étudiants de l'université Cornell) le 30 octobre 1912 [7] et un article du New York Times le dimanche 10 novembre 1912 [8]. Le même journal dans un article consacré au congrès, le vendredi 9 septembre 1913 [9] précise que les délégués venus de l'étranger aux États-Unis représentent 60 000 adhérents. Pour le milieu universitaire il s'agit d'un mouvement de masse, si l'on pense que le 29 mai 1898, dans un appel aux étudiants Efisio Giglio-Tos estime le nombre total des étudiants de la planête à un peu moins d'un demi-million. Les responsables de l'organisation du huitième congrès sont George W. Nasmyth, nouveau président de la Fédération internationale, Louis P. Lochner, responsable de la publication « The Cosmopolitan Student » et secrétaire du Comité central de la Corda Fratres et Carlos L. Locsin, président du Cornell Congress Committee en 1913-1914. Les universités de trente nations sont représentées. Efisio Giglio Tos représente la section italienne. Les « cordafratrini » (membres de la Corda Fratres) participants sont accueillis le 11 septembre avec les plus grands encouragements par le Secrétaire d'État américain William Jennings Bryan, sont invités à un grand nombre de banquets donnés en hommage à l'amitié euro-américaine et reçoivent un message du président des États-Unis Woodrow Wilson.
Le neuvième et dernier congrès de la Corda Fratres se tient du 14 au 27 novembre 1924 en Italie, à Turin, Gênes, Rome et Naples, en présence d'Umberto de Savoie, prince héritier d'Italie, âgé alors de vingt ans.
La croissance rapide et impressionnante de la Corda Fratres jusqu'à la Grande Guerre s'accompagne cependant de profonds vices structurels qui, le moment venu, seront un des facteurs principaux de sa disparition.
Les sociétés festives et carnavalesques existent depuis des siècles. Au nombre des plus dynamiques de celles-ci sont les sociétés festives et fraternelles d'étudiants. Elles sont aussi anciennes que les universités elles-mêmes. La Goliardia italienne apparaît avec la première université d'Europe à Bologne en 1088. La participation organisée des echoliers et professeurs de l'Université de Paris à la fête de la Saint Nicolas est attestée dès 1276. Les sopistas, sociétés d'étudiants chantants et voyageurs qui prendront plus tard le nom de Tunas, surgissent pour la première fois à Salamanque au XIVe siècle avant même que l'université de la ville soit créée.
La société festive et carnavalesque a entre autres caractéristiques de ne pas être structurée bureaucratiquement et respecter les opinions de ses membres. Elle n'est ni politique, ni religieuse, neutre dans ces domaines où se rencontre souvent intolérance et discordes, elle rassemble tous dans l'intérêt de la fête, sa préparation et sa réalisation. Elle vit par et pour la fête et la fraternité. Quand les étudiants s'organisent pour la fête, ils le font à l'échelle d'une école, une université, éventuellement une ville, si elle n'est pas grande. La structure qui lie la société festive est amicale et les anciens viennent y tenir leur rôle et sont les bienvenus. Au-delà de la ville, les étudiants festifs sauront se reconnaître comme appartenant à une branche d'études, carabins, par exemple, ou d'activité festive, fanfare des Beaux-Arts par exemple.
Marquant cette insularité qui fait de chaque ville universitaire une sorte d'état indépendant à l'image de l'Italie médiévale, les goliards italiens disent, quand ils vont dans une autre ville rencontrer d'autres goliards, qu'ils vont « a l'estero », à l'étranger. Les tunos ayant comme activité fondamentale le chant choral accompagné d'instruments, essentiellement guitares et mandolines, rassemblent fréquemment des Tunas différentes pour des « certamenes », des concours. Il faut attendre 1988 pour qu'une congrès national de la Faluche soit organisé à l'occasion du centenaire de sa naissance à Bologne. Ce rassemblement a lieu depuis chaque année. Il s'agit d'une grande fête fraternelle, pas d'un congrès bureaucratique traditionnel, avec délégations mandatées avec relevés minutieux de cotisations prélevées à l'échelle nationale, motions, luttes de fractions, élections, etc.
En 1898, Efisio Giglio-Tos respecte cet esprit souple et ouvert pour lancer la Corda Fratres. Le billet d'adhésion à la Fédération, qui s'adresse à des recteurs d'universités, directeurs ou présidents d'associations étudiantes, porte l'indication : « N.B. L'adhésion est morale. » Reproduisant la structure insulaire de la Goliardia, il donne pour structure de base à la Corda Fratres le « consolato », consulat de ville. Cette greffe goliarde prend partout où il l'exporte. Les étudiants adoptent ce mode de fonctionnement pour leurs sections de la Corda Fratres... Mais à l'échelon de la structure nationale et internationale dont il ressent la nécessité c'est tout autre chose. Efisio Giglio-Tos se démarque complètement de la tradition festive et fraternelle étudiante. Il dote la Corda Fratres d'une très pesante structure administrative, pyramidale et centralisée, régie par un règlement ne comptant pas moins de 154 articles répartis en 27 chapitres et deux dispositions temporaires. S'y retrouvent, entre autres, congrès, direction élue, cotisations collectées à l'échelle du monde entier et jusqu'aux détails réglant la façon de porter les toasts durant les assemblées ! Cette extraordinaire complexité bureaucratique entraine déjà une énorme perte de temps rien que pour valider les délégués aux congrès. Elle amène également les dirigeants à se sentir responsables de phénomènes qu'ils sont incapables de contrôler. Car la Corda Fratres rassemble des groupes farouchement indépendants les uns des autres et qui le démontreront jusqu'à quitter la Corda Fratres quand ils ne la supporteront plus et en tous cas l'oublieront après sa disparition.
La Corda Fratres conserve contradictoirement une double identité goliarde (c'est-à-dire traditionnelle étudiante : festive et fraternelle) et administrative. Significatif est le fait qu'au congrès de Paris tenu en 1900, la priorité donnée aux fêtes et réceptions fait qu'on ne vote pas les statuts et réglement de la Fédération faute de temps à consacrer à cette activité.
Un phénomène aggrave le caractère contraire aux traditions étudiantes dont souffre la Corda Fratres : le Conseil Fédéral Senior, Senatus Seniorum. Les anciens sont les bienvenus dans les sociétés festives et fraternelles étudiantes traditionnelles. Ils sont invités. Autre chose est d'instituer une instance supérieure des anciens à de jeunes étudiants aimant leur liberté de mouvement et décision. Le 4 mai 1907, à Lille, les Associations générales d'étudiants de Bordeaux, Dijon, Lille et Lyon rejettent cette tutelle et créent une organisation indépendante nationale : l'Union nationale des associations générales d'étudiants de France-UNAGEF. Les cinq membres du Bureau national élu à cette occasion posent en faluche sur la photo officielle. Du 1er au 8 septembre 1907 le quatrième Congrès de la Corda Fratres se tient à Bordeaux, ce qui laisse supposer que la rupture avec les étudiants de France, la Faluche n'est pas complête. En 1909 l'Association générale des étudiants de Paris-AGEP qui a d'abord refusé rejoint l'UNAGEF.
Une autre faiblesse fondamentale de la structure de la Corda Fratres est politique. La Fédération s'est déclarée neutre dans ce domaine. Simultanèment elle a prétendu à l'organisation de sections nationales, y intégrant les nations revendiquant leur indépendance contre les empires auxquelles elles étaient intégrées. Il existe par exemple une section tchèque. La « Section spéciale » parisienne, dirigée par Léon Fildermann, se réclame du futur état juif à créer en Palestine. Elle prendra par la suite le nom de « Section sioniste ». Résultat de cette volonté d'Efisio Giglio-Tos d'intégrer les revendications nationales dans la structure même d'une organisation apolitique, chassée par la porte la politique revient en force par la fenêtre. Faire ensemble la fête dans une école, une ville, est possible entre étudiants d'opinions contradictoires... Par contre, se rassembler pour la même fête à l'appel d'une organisation prenant position pour des revendications nationales qu'on ne partage pas, ce n'est plus du tout la même chose. De ce fait les étudiants autrichiens refuseront dès le début de la Corda Fratres d'adhérer à une fédération qui contradictoirement à son apolitisme proclamé prône l'éclatement de l'Autriche-Hongrie. L'erreur fondamentale politisant une structure qui se veut apolitique est aggravée par un but proclamé, apparemment rassembleur, évident et positif : la paix. Certes, qui se permet de se déclarer contre ? Même les plus belliqueux ont l'occasion de se déclarer en sa faveur. La Corda Fratres prétendra au schéma suivant : parmi les étudiants d'aujourd'hui se trouvent les futurs élites politiques de demain. Si nous sommes tous amis, nous proscriront définitivement la guerre. Cette affirmation qui résume la cause des conflits armés aux malentendus supposés entre individus gouvernants coutera également très cher à la Corda Fratres. Car ainsi la Grande Guerre devient aussi un échec, voire une faillite complête et absolue de la Corda Fratres.
Un élément indépendant de son fondateur contribue également indirectement le moment venu à la dislocation et disparition de la Corda Fratres : le large investissement de la Franc-maçonnerie italienne dans la Fédération. L'intervention maçonnique dans la Corda Fratres se fait dans le plus grand secret, peut-être pour éviter justement de faire du tort à son développement en lui donnant une réputation maçonnique injustifiée. Conséquence de cette participation, quand le régime fasciste interdit et pourchasse le Grand Orient d'Italie, il a dans le collimateur nombre de militants et responsables de la Corda Fratres dûment identifiés comme Francs-maçons par la police italienne.
Le secret de l'importante présence Franc-maçonne dans la Corda Fratres mis à jour publiquement au moment des persécutions fascistes antimaçonniques contribue à faire naître la fable de la nature Franc-maçonne de la Corda Fratres. Son nom-même devient alors certainement un élément de plus allant dans ce sens. Les « Cœurs Frères » évoquant les Francs-maçons qui se qualifient entre eux de « frères ». Efisio Giglio Tos qui n'est pas Franc-maçon n'a sûrement pas pensé à cela quand il a imaginé le nom de la Fédération.
Le régime fasciste qui détruit la Corda Fratres d'Italie cherche également à faire disparaître la Goliardia en s'emparant de son signe distinctif : la feluca, sorte de chapeau un peu genre Robin des Bois. Le Gruppo Universitario Fascista-GUF (Groupe Universitaire Fasciste-GUF), organisation étudiante fasciste officielle, prétend en faire son symbole et un élément de sa propagande. Sur les affiches et documents qu'il diffuse figurent des étudiants rassemblés par l'idéal fasciste et portant tous la feluca. Par ailleurs, ce chapeau est systématiquement distribué à tous les étudiants italiens, ce qui revient à lui nier sa signification d'appartenance à la Goliardia. D'autres mesures contre l'indépendance étudiante sont prises. Par exemple l'accès aux ateliers des académies des Beaux-Arts n'est plus autorisé en dehors des heures de cours des enseignants, eux-mêmes astreints à adhérer au Partito Nazionale Fascista (Parti National Fasciste). Ainsi les étudiants ne risquent pas de pratiquer l'art et bavarder sans surveillance.
Vers la même époque, au début des années 1920, André Honnorat et Émile Deutsch de la Meurthe reprennent à leur façon à Paris le projet idéal de la Corda Fratres. Pour bannir la guerre : faire naitre l'amitié entre les étudiants futurs élites des nations. Pour concrétiser ce projet ils créent la Cité internationale universitaire de Paris qui a vocation de voir se cotoyer les étudiants du monde entier afin d'assurer la paix future par l'amitié.
Durant la période du pouvoir fasciste, parmi les anciens membres actifs de la Corda Fratres disparaissent : Angelo Fortunato Formiggini, ancien dirigeant de la section italienne, qui poussé à bout par les persécutions fascistes se suicide à Modène le 29 novembre 1938. Efisio Giglio-Tos, président-fondateur, mort à Turin à 71 ans le 6 janvier 1941. Giandomenico Manci, qui capturé par les nazis se suicide à Bolzano le 6 juillet 1944 pour éviter de parler sous la torture.
En 1945, comme la Calotte et la Penne belges ou la Faluche française, la Goliardia italienne reprend normalement ses activités. La Corda Fratres cherche à se reorganiser en Italie. Cependant elle n'y parvient pas. Diverses raisons expliquent cet échec, entre autres la durée du régime fasciste : 23 ans, depuis 1922 jusqu'à 1945. À cette date, cela fait plus de dix ans qu'il n'y a plus un seul étudiant ancien de la Corda Fratres inscrit dans les universités d'Italie. Au IIe Congrès national universitaire d'Italie tenu à Turin du 28 avril au 4 mai 1947, un grand nombre de représentants d'universités déclarent n'en avoir jamais entendu parler.
La Corda Fratres italienne déjà affaiblie par le fascisme, qui lui a notamment confisqué ses biens matériels, souffre aussi du vice politique structurel que représente sa construction en section nationale. D'où à nouveau importante perte de temps passée en formalités bureaucratiques et administratives. Par exemple à l'occasion du « Convegno nazionale dei consoli directori della Corda Fratres, sezione italiana (Congrès national des consuls directeurs de la Corda Fratres, section italienne) » du 25 juillet 1947. De plus et surtout, la prétention à reconstruire une société festive et fraternelle étudiante dans un cadre national italien y introduit alors un gros problème centrifuge italo-italien : la vieille rivalité Nord-Sud. Car la Corda Fratres renaissante est plus forte au Sud, d'où hostilité du Nord. Giuseppe Ganino qui vient de passer la direction de la section italienne de la Corda Fratres au professeur Mario Covello écrit le 1er septembre 1947 qu'il faut faire comprendre à « la très noble Cité de Palerme que par sa position géographique elle ne peut être pratiquement le Siège Central de l'Association ». Des polémiques naissent entre Catane et Turin, Naples et Rome et même Palerme et Messine. L'Italie unifiée seulement depuis 1860 est propice à ce genre de rivalités.
Après l'échec de la tentative de renaissance en 1948, il y eut encore un rendez-vous organisé en France vers 1964, où des étudiants de France et d'Italie se retrouvèrent en camping ensemble en France en plaçant leur rassemblement dans le cadre de la poursuite de la Corda Fratres.
La défection française initiée en 1907 et la destruction de la Corda Fratres d'Italie seront les facteurs clés conduisant à la disparition de la Fédération. Cependant, les sociétés festives et fraternels auxquelles appartenaient ses membres existent toujours. Fait significatif, la Faluche, née à Bologne en 1888 dix ans avant la Corda Fratres, en dépit de toutes les difficultés qu'elle a pu rencontrer dans son histoire, existe toujours.
Aux États-Unis, en 2006, en relations étroites ensemble fonctionnent encore trois Cosmopolitan Clubs, appelés également en abrégé Cosmo Clubs : ceux de l'université du Delaware, de l'université du Colorado à Boulder et de l'université d'Illinois à Urban Champaign. Constatée en 2008, l'inactivité du site Internet du premier laisse supposer qu'il ne fonctionne plus présentement.
Avec les moyens de communications de son époque, Efisio Giglio-Tos a rassemblé dans la Corda Fratres les éléments du puzzle mondial des associations festives et fraternelles étudiantes. Après la fin de la Corda Fratres les pièces du puzzle se sont retrouvées à nouveau éparpillées. Il existe par endroits des liens partiels. La Goliardia de Turin est par exemple en relations régulières avec une association étudiante belge. Les organisations goliardes d'Italie se rassemblent une fois par an. La Tuna de Porto-Rico rend visite tous les ans aux Repúblicas (Républiques) étudiantes de Coïmbra. Le congrès annuel de la Faluche reçoit des invités espagnols et italiens. Tous ces éléments témoignent que le besoin de se rassembler festivement et fraternellement par delà la division entre branches d'études, universités, villes, pays existe toujours.