Correspondance des toponymies lorraines en français et en allemand - Définition

Source: Wikipédia sous licence CC-BY-SA 3.0.
La liste des auteurs de cet article est disponible ici.

Introduction

Les divers toponymes de Lorraine sont souvent connus par des noms très différents selon la langue dans laquelle on s'exprime. Cet article permet de comprendre l'origine linguistique et historique de cette diversité et liste un certain nombre de correspondances.

Aspects linguistiques

Le Déterminant-déterminé des Romano-Francs

L'origine des toponymes est parfois sujette à controverses. C'est encore plus le cas en Lorraine où les occupations successives ou simultanées par des peuples différents et les changements de nationalité ont souvent plus qu'ailleurs influencé la toponymie.

Comme dans toutes les régions marquées par l'influence germanique, les adjectifs ou les appellatifs précédent le plus souvent le nom déterminé. Une grande partie de ces noms de lieux est formée avec le nom d'un seigneur ou propriétaire local. Il semble cependant que certains aspects topographiques, religieux ou historiques particuliers aient pu jouer un rôle plus important qu'il est difficile de déterminer dans les formations d'origine gallo-romaine notamment. Si les toponymes gaulois sont souvent mal éclaicis, faute d'une connaissance suffisante de cette langue, les toponymes romans jouent souvent le rôle de Decknamen de ces toponymes celtiques plus anciens qui ont été rhabillés à la romane.

Les Francs rhénans et saliens, un certain temps aussi les Alamans en Lorraine orientale ont introduit des toponymes germaniques. Une pratique patronymique romano-franque s’est développée à partir de l’époque mérovingienne en fusionnant des habitudes romaines et germaniques.

La règle germanique de la composition des mots de droite à gauche, c'est-à-dire l'ordre déterminant-déterminé, régit largement la formation des toponymes lorrains, aussi bien en langue germanique qu’en patois roman. Car le patois lorrain place par exemple l’adjectif épithète avant le nom qu’il qualifie. Un « blanc rupt » est « un ruisseau blanc » (sous-entendu clair et transparent). Cela vaut surtout pour les oronymes et les toponymes des lieux-dits qui ont beaucoup recours au patois local. Gérardmer (Giraumouè) est le jardin (la terre) de Gérard qui peut donc se traduire dans le même ordre en langue allemande : Gerhardsgarten, Gerhardsland.

Cette donnée est fondamentale dans la toponymie romane et l'ordre déterminant-déterminé est la règle en Normandie (sauf Avranchin), Picardie, Nord, Champagne, Ardenne, nord de la Franche-comté et de l'île-de-France, il n'est donc pas étonnant que l'on retrouve ce mode de composition en Lorraine romane. Dans l'ouest et le sud, l'ordre inverse déterminé-déterminant domine nettement. Ainsi oppose-t-on par exemple les Neufchâteau, Neufchâtel, Neuville, Neubourg du nord, aux Chateauneuf, Castelnau, Villeneuve et Bourgneuf plus au sud. Même si un Lorrain ne se sent pas tout à fait en terre connue en Flandre à cause des formes flamandes (-kerque, -em, -hem, -hout, -brouck, -berghe, -dorp) légèrement différentes des formes allemandes, et encore un peu plus en Normandie avec les appellatifs anglo-norrois (-crique-, -ham, -londe, brique- [?], hougue / hogue, Torp(s) / -tour(ps)), il peut ressentir sans difficulté une pratique commune (-kirch, -om, -heim, -holtz, -bruck, -berg, -troff / -droff).

Les toponymes en - ange (< germanique commun -ing) sont typiquement lorrains et correspondent à un recul relativement récent des parlers germaniques en Lorraine. Ailleurs cette forme est exceptionnelle si l'on excepte le Luxembourg et la partie luxembourgeoise de la Wallonie. En Flandre et en Artois, -inge, -in, -ain, ses correspondants, sont aussi l'expression d'un recul du flamand ou du moins d'une volonté de francisation des toponymes. En zone romane, où les parlers germaniques ont disparu très tôt, on trouve le suffixe sous les formes -ans en Franche-Comté ou en Bourgogne, dans le Sud Ouest et un peu le Languedoc sous les formes -eins, -ens, -ein et parfois aussi -ans. Ce suffixe est beaucoup plus rare à l'ouest, où il revêt parfois la forme -an ou -anges. Son absence est remarquable en Picardie septentrionale, région où la toponymie romane est la plus « germanisée » de France par ailleurs.

Paradoxalement, on ne rencontre pas en Lorraine romane toute une série d'appellatifs communs au nord et au nord ouest, dont l'origine germanique est avérée. Ainsi ne trouve-t-on pas ces archétypes fréquents : Husdinium de *husidinja (abri) dans Hodeng, Hodent, Houdan, Hesdin, etc.; ou encore en hlar (friche) dans Mouflers, Flers, Meulers, etc.; ala(c)h (temple) dans Neauphe, Neaufles, Neauphle ou Niafles et Boffles, Bouafles, etc.; afisna / avisna (paturage) dans les Avesnes, Avernes, etc; Rosbaki (ruisseau au roseaux) a évolué en lorraine francique en Rohrbach, Rorbach, ailleurs au nord et au nord ouest, on trouve Robecq, Rebecques, Rebais ou Rebets, etc.

On rencontre des toponymes en -court en gros du Doubs à la Normandie, de l’Île-de-France à la Belgique wallonne. Aux toponymes en -court ont succédé chronologiquement les toponymes en -ville dont la Lorraine romane est le second « pourvoyeur » après la Normandie et avant la zone d'exception de la Beauce. On en trouve aussi un peu en Charente et dans le sud ouest autour de Toulouse.

La diglossie lorraine

La Lorraine ducale indépendante comportait un bailliage d’Allemagne qui dépassait la frontière actuelle de la Moselle au nord. Les Lorrains romans désignaient tous ceux qui parlaient un dialecte germanique par le nom d' « Allemands » par opposition à leur langue romane. Donc un Allemand (ou Ollemand) pour un Lorrain roman peut aussi être un Lorrain du bailliage d’Allemagne ou un Alsacien, ou toute personne habitant au-delà. Inversement, les gens de langue allemande voisins nommaient souvent les romanophones des Welsches (ou Welches). C’est aussi le cas en Suisse.

Aussi, la toponymie lorraine ne se résume pas seulement à un chassé-croisé entre la forme allemande et la forme française, plus spécifique aux deux derniers siècles. Elle est plus ancienne. Elle témoigne aussi d' une sensibilité commune à tout l’est de la France où la paire « déterminant-déterminé » domine largement tout en respectant des habitudes et des règles qui font fi de la langue d’origine.

Dans la Lorraine de l’Ancien Régime, la cohabitation d’une forme romane et germanique pour un même lieu n’était pas rare. Ce n’est qu’avec l'intégration à la France sous Stanislas puis sous le régime jacobin et l’impérialisme prussien que la langue comme le toponyme prennent une valeur politique, patriotique, symbolique et identitaire. Auparavant, le duc de Lorraine reconnaissait l'existence officielle de l'allemand et du français sur ses terres au risque de devoir faire traduire dans un sens ou dans un autre les actes et chartes les plus importants. Dans les régions de passage entre l'aire germanique et le bassin roman, un même lieu-dit était nommé dans la langue du locuteur respectif. C'est le cas des Hautes Chaumes dans les Vosges dont le nom en patois vosgien diffère de la forme alsacienne initiale.

Le patois lorrain permet plus que le français standard une lecture croisée des toponymes de la région et permet d'établir une correspondance entre les deux familles de langues présentes sur le territoire lorrain. C'est ce qui fait l'une des caractéristiques de la Lorraine, sa vocation de région-tampon, ou d'Entre-Deux.

Page générée en 0.054 seconde(s) - site hébergé chez Contabo
Ce site fait l'objet d'une déclaration à la CNIL sous le numéro de dossier 1037632
A propos - Informations légales | Partenaire: HD-Numérique
Version anglaise | Version allemande | Version espagnole | Version portugaise