Si nous comparons le langage et la main, nous trouvons cette analogie : la main a des usages très variés ; toutefois, elle ne suffit pas à remplir des tâches qui demandent la plus haute précision. Pour remédier à ce défaut, les hommes ont fabriqué des mains artificielles, qui réalisent un travail d'une précision impossible pour une main humaine.
D'où vient cette précision ? Pour Frege, elle vient de la rigidité et l'indéformabilité des pièces des outils frabriqués par l'homme. L'outil qui remplace la main est ainsi plus précis, mais moins habile que la main. Or le langage parlé a une insuffisance analogue : il est souple et plein de ressources, mais cette polyvalence exclut qu'il puisse être un ensemble de signes dénués d'ambiguïté. Ce qu'il faut donc, c'est un ensemble de signes strictement logique, donc rigide et univoque, qui ne laisse pas cependant échapper le contenu de la pensé.
Après cette critique logique du langage usuel, Frege poursuit en comparant les mérites respectifs du mot écrit et du mot parlé au regard de leur utilité pour fixer avec précision et clarté des raisonnements.
Le mot écrit est durable : on peut, grâce à lui, parcourir plusieurs fois une suite de pensées sous une forme stable ; toutefois, cette qualité n'est pas suffisante, pour les raisons déjà évoquées : par le mot écrit du langage usuel, les différences de sens d'un mot ne sont pas rendues manifestes.
Frege répond à une objection qui évoque, au regard de l'histoire de la pensée, le problème du statut de la logique dans la pensée d'Aristote : la formalisation ne doit-elle pas venir seulement une fois la science achevée ? Chez Aristote, rappelons que le statut de la logique n'est pas connu avec précision : on ne sait s'il s'agit d'une méthode de découverte, ou d'une mise en forme de la science une fois que celle-ci est achévée. Mais, dans le second cas, la logique est stérile.
Tel n'est pas l'avis de Frege : recourant de nouveau à une analogie avec la technique, il affirme que la science permet de construire des instruments qui à leur tour permettent de développer la science. Il en ira de même pour l'idéographie.
Ceci permet de récapituler l'ensemble de l'article dans une esquisse de théorie du progrès de la connaissance :
- l'homme, comme animal, est apparemment soumis aux impressions sensibles : son attention est tournée vers l'extérieur ;
- mais, comme l'animal, il peut agir sur le cours de ses représentations (de manière basique : par la fuite, ou la recherche de certaines impressions) ;
- par la main et les outils, et par la voix, l'homme a une plus grande indépendance à l'égard de ses représentations que les autres animaux ;
- grâce à des signes, l'homme se donne la présence de choses absences : le signe permet de s'élever à la pensée conceptuelle ;
- toutefois, le langage usuel n'est pas régi par des lois logiques, mais grammaticales : il est donc une source d'erreurs ;
- il faut donc inventer un nouvelle ensemble de signes qui permettent d'atteindre à une expression de la pensée univoque et sans ambiguïté.
L'article tient ainsi son unité de cette conception du développement de la science, évoquée au cours d'une discussion de l'intérêt scientifique de l'idéographie, et cette conception justifie le titre de l'article : le développement de la science, qui demande plus de précision et de clarté, en exige l'invention.