Stuber a fait beaucoup pour l’éducation en général, mais c’est Sara elle-même qui, en 1767, prend l’initiative de réunir autour d’elle à Belmont de très jeunes enfants, et de leur donner un enseignement adapté à leur âge : mots nouveaux, observation des plantes, histoires tirées de la Bible. On apprend en tricotant dans la seule salle chauffée de sa maison, appelée le « poele » en langage local. Ceux des enfants qui le peuvent apportent une bûche. Le « poele à tricoter » de Sara Banzet est donc la première école maternelle. Sara en est la véritable inventrice, même si son initiative est ensuite approuvée et soutenue tant par le pasteur Stuber que par le pasteur Jean-Frédéric Oberlin, qui lui succède en cette même année 1767.
Les « poeles à tricoter », qui apportent un enseignement précoce aux enfants tout en permettant à leurs mère de gagner leur vie, deviennent un élément fondamental de l’œuvre pédagogique, sociale et humaine du célèbre pasteur Oberlin. Celui-ci recrute plusieurs « conductrices de la tendre jeunesse », encadrées par ses trois servantes en lesquelles il a toute confiance : Sara Banzet jusqu’à son précoce décès en 1774 ; Louise Scheppler ; Anne-Catherine Gagnière.
Sara Banzet officie bénévolement au début, puis, pour amadouer son père qui se plaint qu'elle perde son temps, Oberlin l'engage officiellement avec une petite rémunération.
En cette même année 1767 où elle crée le premier « poele à tricoter », Sara tient, sur un petit cahier d’écolier, un journal où elle relate la vie de cette première école maternelle, ainsi que des événements marquants du village de Belmont cette année là. Ce journal a été publié récemment (voir sources).
Voici un aperçu du style :
« Ce que j'aime beaucoup, c'est entendre le bruit d'une idée dans mon corps . D'abord, c'est dans mon cœur, quelque chose qui s'arrête, se retient et fait du plein jour. Puis, cela s'étend dans mon corps, et un peu plus au large. Je sens que cela va mettre en mouvement un amas d'actions, considérable, de la joie à faire, à ranger, à mettre dans un ordre plus grand que les jours qui passent. (...)
» Et j'aime entendre en moi, quand je me les rappelle, ces mots du pasteur Oberlin, en visite chez mon maître le pasteur Stouber : "Il faudrait trouver le moyen d'instruire ces enfances si négligées, au Ban de la Roche". (...)
» Alors, j'ai pensé que j'allais les mettre autour de moi, les enfants, dans mon poêle, et leur apprendre ce que je savais : tricoter, et leur lire des histoires. Et les interroger aussi. »
Outre la vie de sa petite école, Sara nous raconte les graves soucis des habitants du village, quand le seigneur fait arpenter les lieux pour réclamer des impôts déjà payés, ou quand il vient faire tirer au sort les jeunes gens du village en vue d’un recrutement militaire.
Elle nous montre aussi les cas de conscience que le pasteur Oberlin eut à trancher, en général dans le sens de la morale moderne : faut-il faire enterrer en terre consacrée un faible d’esprit qui s’est suicidé ? (Oberlin répond positivement.) Quelle attitude tenir vis-à-vis de la fascination des enfants pour les histoires de sorcellerie (Sara leur dit qu’il n’y a plus de sorcières au Ban de la Roche depuis que le seigneur les a éliminées au siècle précédent).
Sara est également témoin de l'une des dernières exécutions capitales au Col de la Perheux, où l’assassin François Staller est mis à mort sur la roue le 14 octobre 1767. Elle raconte la scène avec horreur, déplore que l’autorité ait mené au spectacle toute la population y compris les enfants, et exprime en ces termes son avis sur la peine de mort :
« Je n'aime pas l'ordre royal de justice qui impose tant de cruauté. Je voudrais un monde où les punitions ne seraient pas extrêmes, ne seraient pas définitives comme la mort. Sinon, où le repentir peut-il prendre sa place ? Un jour, le monde changera, ou bien la royauté sera enlevée, il y aura des assemblées comme nos communautés municipales, et les gens parleront, et l'on ne fera pas le mal absolu d'un air tranquille pour se faire croire que c'est le bien. »