Wilhelm von Humboldt - Définition

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La redécouverte contemporaine de Humboldt

Dès le XIXe siècle, le philosophe français Antoine Augustin Cournot avait apprécié l'œuvre des frères Humboldt, qu'il cite. On peut en particulier rapprocher sa théorie du hasard comme rencontre de plusieurs séries causales indépendantes, d'un fragment du jeune Humboldt rédigé en 1791, Sur les lois du développement des forces humaines, où Humboldt comparait les futures sciences humaines au modèle physique de la causalité. Il est vrai que Cournot ne pouvait avoir connaissance de ce brouillon, inédit à l'époque. De même, l'idée que l'ordre historique existe, mais n'est pas déterministe, qu'il tient le milieu entre les séries aléatoires et les lois physiques, qu'il exprime des effets de structure, fonction d'un vitalisme qui dépasse la raison individuelle, peut être rapprochée de la philosophie du jeune Humboldt, de ses nombreux travaux sur l'histoire et l'historiographie.

Dans le monde germanique, ce sont surtout Cassirer et Heidegger qui, avant Jürgen Habermas, ont insisté sur le caractère fondamental de la réflexion humboldtienne, moins celle du jeune Humboldt que du linguiste. Le linguiste Karl Bühler cite lui aussi abondamment Humboldt. Mais chacun de ces auteurs met en lumière des aspects bien différents des conceptions humboldtiennes. Bühler analyse la grammaire profonde des langues en invoquant la notion d'une forme interne qui guide différentiellement l'appréhension des états de choses; par exemple, les langues indo-européennes expriment la réalité en partant de l'événement (verbe), puis déterminent cet événement en indiquant qui agit et sur qui ou quoi. Cassirer en a retenu le kantisme, l'idée que la culture exprime des fonctions et des structures qui ne sont pas le produit de l'intellect abstrait, mais de l'imagination symbolique. Heidegger rapproche de sa conception de l'Être et du Temps la conception humboldtienne d'une activité qui surplombe le temps et s'y exprime de manière intempestive. Enfin Habermas apprécie dans la linguistique de Humboldt moins son pré-structuralisme que son herméneutique dialogique, inséparable de l'éthique de la Bildung.

En Union soviétique, Gustav G. Chpet (1927) a voulu purifier la philosophie humboldtienne du langage de sa dimension métaphysique. La pensée se fait à même l'expression, la subjectivité est en soi symbolique et sociale, c'est une poétique. Il y a une parenté profonde entre la poétique et la genèse du langage. Ainsi, le poème qui chante la locomotive siffle et halète comme une locomotive. En fin de compte, la forme interne qui travaille la langue est intermédiaire entre la forme logique et la forme de l'objet lui-même. C'est une force lourde de sens possibles, une force inexponible, mais qui donne naissance à la forme, toujours expressive et poétique. Cela se voit mieux dans la genèse du mot que dans celle de la syntaxe.

De son côté, le linguiste américain Noam Chomsky a privilégié le rationalisme de Humboldt, et a retenu que toute langue exprime dans des structures grammaticales en apparence différentes le même entendement universel, ce qui ferait de Humboldt un linguiste... cartésien. Il a en revanche, comme Cassirer, rejeté la dimension romantique de sa pensée.

John Stuart Mill s'en était également inspiré, au XIXe siècle, comme moteur de son ouvrage On Liberty, où il montre l'importance du principe de Von Humboldt, « l'absolue et essentielle importance du développement humain dans sa plus riche diversité », et les conditions de sa réalisation. Mill, prenant du recul face à l'utilitarisme, se prononce alors en faveur de la pensée politique d'Humboldt, pour une éducation politique de tous afin de préserver la liberté de l'individu face à l'État.

Humboldt fait aujourd'hui l'objet d'une redécouverte et d'une réévaluation de ses travaux de linguistique prolifiques et novateurs.

En France, Humboldt reste pourtant méconnu, malgré deux thèses monumentales, celles du germaniste Robert Leroux (Guillaume de Humboldt, la Formation de sa pensée jusqu'en 1794, 1932) et du philosophe Jean Quillien (L'Anthropologie philosophique de G. de Humboldt, 1991). Plus récemment, Henri Dilberman lui a consacré également une thèse de philosophie, L'Interprétation métaphysique et anthropologique du langage dans l'œuvre de W. von Humboldt.

Citons aussi les importants travaux du linguiste et poète Henri Meschonnic, qui se veut au plus près de la pensée authentique de Humboldt, de son mouvement propre, étranger à la philosophie universitaire.

Enfin, en 2006, le célèbre commentateur de Kant, Alexis Philonenko, lui a consacré un essai, Humboldt à l'aube de la linguistique. Il y montre toute l'importance de Humboldt comme précurseur en linguistique et dans quelques autres sciences humaines. Philonenko, un peu comme Jean Quillien avant lui, se présente dans cet ouvrage comme le premier philosophe contemporain français qui a su redécouvrir Humboldt et le situer à sa place exacte dans l'histoire des idées. Comme Dilberman avant lui, il est sensible aux analogies entre la pensée de Humboldt et celle de Henri Bergson. Mais c'est pour souligner la supériorité philosophique du philosophe français. On peut en tout cas penser que la célébrité de Philonenko permettra enfin au public français de considérer Humboldt comme un auteur digne d'intérêt (même si on peut regretter que Philonenko ait un peu trop tendance à souligner, comme avant lui Hegel ou Heidegger, les limites philosophiques de Humboldt, au lieu de montrer quels furent ses apports conceptuels et ses principales intuitions).

Tout se passe en fait comme si, périodiquement, les philosophes, comme les linguistes, croyaient redécouvrir Humboldt, et lire dans son œuvre les prémices obscures de leur propres conceptions ou de leurs propres options philosophiques ou linguistiques. C'est que la pensée d'Humboldt, rarement saisie dans son originalité, constitue une réserve de sens pour la philosophie de l'avenir. « Humboldt, plus d'avenir que de passé », a pu dire Henri Meschonnic.

On a rapproché ainsi le concept humboldtien de « forme de la langue » du structuralisme, sa vision dynamique du langage de la linguistique de la parole, le rôle qu'il attribue au dialogue entre les individus et les cultures de l'herméneutique contemporaine (Habermas). Ces évaluations sont souvent contradictoires, ce qui traduit moins l'obscurité de la pensée de Humboldt que sa richesse. Comme l'a montré le philosophe Jean Quillien, il est nécessaire aujourd'hui de replacer les découvertes de von Humboldt à l'intérieur de sa propre anthropologie philosophique, de son refus d'opposer l'individu et le collectif, mais aussi de dissoudre l'individu, ou la parole, dans la totalité d'une Nation ou d'une langue.

Du côté des linguistes, les Presses universitaires de Nancy ont publié un numéro de la revue Verbum entièrement consacré à Humboldt. Les auteurs y proposent une vision très exacte, au plus près des sources, de l'apport de Humboldt. Anne-Marie Chabrolle-Cerretini, éditrice de ce numéro, a publié en 2008 La Vision du monde de Wilhelm von Humboldt. Histoire d'un concept linguistique. Les commentateurs de Humboldt ne s'étaient guère rendu compte avant elle que c'est Humboldt qui a inventé l'expression de vision du monde, « Weltansicht », promise à un si bel avenir.

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