Brown v. Board of Education - Définition

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Bolling v. Sharpe

La décision Bolling v. Sharpe, oubliée dans l'ombre de Brown, concerne une affaire traitée par la Cour dans le même groupe et qui porte sur des faits similaires, à la seule différence qu'ils ont lieu à Washington, DC, la capitale fédérale, où l'éducation comme le reste dépend du seul gouvernement fédéral.

La Cour rend un arrêt distinct pour Bolling alors que les autres affaires cas sont joints à Brown, parce que le XIVe amendement s'applique aux États, et non au gouvernement fédéral, qu'il n'est donc pas possible de recourir ici à la clause d'equal protection et donc que le raisonnement de Brown ne peut s'appliquer tel quel. En revanche, le Ve amendement impose la clause de due process au gouvernement fédéral, comme le XIVe l'impose aux États.

Dans Brown I, Warren, après avoir tranché sur la base de l'equal protection, note « il n'est donc pas nécessaire de décider si la ségrégation viole aussi le due process » (les cours des pays de common law, dont la jurisprudence est contraignante doivent veiller à ne pas se prononcer sur des questions dont la réponse n'est pas nécessaire à la solution de l'affaire à juger).

Dans Bolling, il explique que la clause d'equal protection est plus précise que celle de due process, et qu'elle ne sont pas interchangeables. Cependant, « la ségrégation ne remplit aucun objectif gouvernemental légitime, et donc, impose aux enfants noirs de Washington une restriction qui constitue une privation arbitraire de liberté en violation de la clause de due process ». Et il termine : « au vu de notre décision interdisant aux États de conserver la ségrégation dans leur système éducatif, il serait impensable que la constitution en demande moins au gouvernement fédéral. »

L'arrêt de 1955

La Cour avait tranché la question constitutionnelle en 1954. Dans son second arrêt, elle règle les questions d'applications. Entre-temps, le gouvernement, dans un nouveau mémoire, plaide pour le pragmatisme et la modération. Exceptionnellement, le président Eisenhower rédige lui-même une partie de la demande. Dans son arrêt, la cour casse les jugements des cours inférieures. Elle rend les autorités locales en charge de l'éducation responsables du processus de déségrégation et charge les tribunaux fédéraux d'en surveiller l'application. La cour reconnaît de probables difficultés d'applications, accepte d'éventuel délais, et choisit, pour préciser les délais acceptables, l'expression with all deliberate speed. L'expression, ambiguë, voire contradictoire, est difficilement traduisible, speed étant la vitesse, deliberate signifiant volontaire et assuré, mais aussi réfléchi voire lent, on peut la rapprocher de l'expression « se hâter lentement » en français. Elle laisse ainsi beaucoup de temps ; la NAACP avait souhaité le terme forthwith, « immédiatement ». Mais les autorités doivent démontrer que les délais sont nécessaires et qu'elles s'appliquent de bonne foi à mettre en œuvre la décision aussitôt que possible. La Cour exige d'elles au moins un commencement rapide et crédible (a prompt and reasonable start) des mesures de transitions.

Les suites

Les premières réactions

Lors de son annonce, la décision est saluée par les grands journaux de la côte Est, tel le New-York Times ou le Washington Post. L'accueil dans le pays est en général favorable, la décision est même bien acceptée dans des États qui pratiquent une ségrégation limitée, notamment le Kansas. Dans le Sud au contraire, la décision provoque la colère. L'éditorial du Daily News de Jackson, dans le Missisippi est resté célèbre : « Il se pourrait bien que le sang coule dans bien des endroits dans le Sud à cause de cette décision, mais ce sont les marches de marbre blanc du bâtiment de la Cour suprême qui seront souillées par ce sang. Mettre des enfants Blancs et Noirs dans les mêmes écoles mènera au métissage, le métissage mènera aux mariages mixtes, et les mariages mixtes mèneront à l'abâtardissement de la race humaine ». Des gouverneurs s'engagent à s'opposer à la décision par tous les moyens légaux, dans certains États les législatures reprennent les mots de très anciennes querelles, parlant d'interposition ou de nullification, des termes utilisés dans les premières décennies du XIXe siècle quand les États disaient disposer du pouvoir d'invalider la législation fédérale. On appelle à la destitution des juges, voire à la suppression de la Cour elle-même. En 1956, des représentants et des sénateurs du Sud signent le manifeste du Sud (The Southern Manifesto) condamnant la décision de la Cour, « arbitraire ». Clairement minoritaire au Congrès, ne rassemblant même pas tous les parlementaires du Sud, ils parviennent souvent à ralentir le travail législatif vers la déségrégation, mais pas à l'infléchir durablement.

Le commencement de l'application

L'application de la décision Brown commence lentement, comme l'arrêt de 1955 le prescrivait. Les juges fédéraux siégeant dans le Sud font effectivement appliquer la décision, ce qui ne paraissait pas aller de soi à l'époque, les autorités locales doivent leur présenter des plans de déségrégation. Souvent ces plans renvoient la fin de la déségrégation à un terme lointain. Mais même le « commencement rapide et crédible » exigé provoque des troubles.

En 1957, alors que neuf élèves noirs doivent rejoindre le lycée central de Little Rock dans l'Arkansas, des émeutes éclatent, encouragées par le gouverneur de l'État Orval Faubus. Le président Eisenhower doit envoyer sur place mille hommes de la prestigieuse 101e division aéroportée et faire passer la garde nationale de l'Arkansas sous contrôle fédéral. Constamment harcelés, parfois violemment, les neuf élèves (« les 9 de Little Rock ») se voient affecter chacun un militaire de la 101e comme garde du corps. Le gouverneur choisit même un moment de faire fermer les écoles plutôt que d'accepter qu'elles soient multiraciales. Les tribunaux fédéraux ordonnent leur réouverture, la Cour suprême confirme. Des évènements similaires se produisent ailleurs, jusque tard dans les années 1960 : les autorités locales modifient leur législation, mais pas son esprit, ce qui permet des procédures dilatoires devant les tribunaux, et parfois précipitent la crise en fermant les écoles. Brown dit en effet que lorsqu'un État établit un système d'instruction publique, il doit le faire sans discrimination, mais rien ne dit qu'un tel système doit exister. Les États subventionnent alors des écoles privées réservées aux blancs, ce que les tribunaux rejettent. Encore en 1964, la Cour suprême (arrêt Griffin v. County School Board) ordonne la réouverture des écoles dans le comté du Prince-Édouard, en Virginie, alors que ce comté était partie à une des quatre affaires regroupées dans l'arrêt Brown.

Le mouvement des droits civiques

Le mouvement des droits civiques, emmené par des personnalités comme Martin Luther King, débute peu après l'affaire, avec le boycott des bus de Montgomery à partir du 1er décembre 1955. Il est difficile de dégager les contributions respectives des mouvements militants et des juges dans la déségrégation. Sans doute le mouvement aurait-il eu lieu sans l'arrêt Brown et au contraire, Brown et les autres arrêts sont eux le produit d'actes militants et de la patiente stratégie de la NAACP : avant l'arrêt Brown et plusieurs années après, il faut du courage pour un étudiant ou un élève Noir pour réclamer aux tribunaux son admission dans une école réservée aux Blancs et ensuite pour s'y rendre. Il est certain que le soutien des tribunaux fédéraux aide au mouvement des droits civiques, même si les tribunaux fédéraux ne sont accessibles qu'après une longue procédure, qui passe d'abord par des tribunaux locaux souvent hostiles. L'action des tribunaux comme le mouvement des droits civiques, de grande ampleur, non violent mais souvent confronté à la violence, ont poussé le Congrès à réagir, et à modifier la législation.

Les droits civiques garantis par la loi

Dès 1957, après la crise de Little Rock, le département de la justice prend l'initiative d'une nouvelle loi sur les droits civiques (Civil Rights Act), la première depuis 1875. Destinée à favoriser le vote des Noirs, mais peu ambitieuse, elle est réduite par le Sénat à une portée seulement symbolique. Ce n'est que sous la présidence et l'impulsion de Johnson qu'est voté le Civil Rights Act de 1964 qui rend illégale pratiquement tout forme de discrimination raciale, non seulement de la part des organismes publics, fédéraux ou locaux, mais aussi dans les relations commerciales et de travail. Les pouvoirs constitutionnel du Congrès sont utilisés à leurs limites pour cette loi, non seulement le pouvoir d'application du XIVe amendement mais aussi celui de régulation du commerce inter-État interprétée de la façon la plus large. La Cour suprême en valide le principe dans l'arrêt Heart of Atlanta Motel v. United States, dès décembre 1964. Le gouvernement fédéral, en conditionnant le versement de ses subventions, se substitue partiellement aux juges fédéraux par nature lents pour poursuivre la déségrégation dans les écoles. Le dispositif des droits civiques est complété en 1965 par le Voting Rights Act (loi sur le droit de vote) qui donne aux Noirs du Sud la possibilité réelle de voter, comme le XVe amendement l'imposait normalement.

Déségrégation effective ou intégration forcée ?

La question de la mixité raciale dans les écoles demeure jusqu'au milieu des années 1970. Le principe a été posé non seulement que les lois imposant cette ségrégation devaient disparaître, de même que toute politique destinée à la favoriser, mais qu'une fois ces lois abolies et ces politiques disparues, il fallait encore remédier à leurs effets. Or la ségrégation de fait dans l'habitat, souvent plus sociale que raciale mais aboutissant aux mêmes effets, favorise la persistance d'écoles monoraciales. Là où la ségrégation a été imposée dans le passé, les autorités doivent maintenant assurer la mixité. C'est ce que rappelle fermement la Cour en 1969 dans Green v. County School Board : le plan adopté par les autorités, qui laisse les parents choisir l'école de leurs enfants, est « intolérable ». La décision Brown II confie non pas aux parents, mais aux autorités, la responsabilité de démanteler la ségrégation. Reprenant les mots de Brown II, « Il est trop tard pour ne se hâter que lentement » (Time for mere deliberate speed has run out), le juge Black conclut pour la Cour « Aujourd'hui, la responsabilité de la commission est de proposer un plan qui ait des chances raisonnable de succès, et des chances raisonnables de succès maintenant ». En 1971, avec l'arrêt Swann v. Charlotte Mecklenburg County Board of Education, elle accepte, là où la ségrégation a existé, le principe de quotas raciaux et du « busing », l'organisation du transport des élèves vers l'école à laquelle ils ont été inscrits pour atteindre ces quotas. La question perd cependant peu à peu de son importance, même si encore aujourd'hui, des tribunaux jugent d'affaires liées à la déségrégation.

Discrimination positive

Une autre question est venue au premier plan, celle de la discrimination positive (affirmative action) politique qui conduit beaucoup d'universités à favoriser de diverses manières l'admission d'étudiants appartenant aux minorités (Africains-américains, Femmes, ...).

D'autres étudiants, lésés, ont contesté ces politiques et la Cour a admis qu'il s'agissait aussi de discrimination. Elle invalide tout système qui établirait des quotas ou qui accorderait de trop fortes bonifications (University of California Regents v. Bakke, 1978). Mais dans ce même arrêt, elle reconnaît que la diversité de la population étudiante est un objectif légitime, y compris parce qu'elle contribue à dispenser une meilleure formation. Elle laisse la porte ouverte, sous la stricte surveillance des tribunaux, à un système qui pourrait prendre en compte l'appartenance à une minorité, parmi d'autres critères destinés à assurer la diversité, celle-ci ne pouvant s'entendre seulement comme diversité raciale. En 2003 un tel système, celui de la faculté de droit du Michigan, est pour la première fois validé par la Cour dans Grütter v. Bollinger.

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